La Chute Des Géants: Le Siècle
majeure se
prépare dans ce secteur d’ici quelques semaines », répondit Walter.
Son père secoua la tête d’un air
sceptique. « C’est sur la Somme que nos lignes sont le mieux défendues.
Nous tenons les hauteurs et nous avons trois lignes de tranchées. À la guerre,
tu attaques l’ennemi à son point le plus faible, pas à l’endroit où il est le
plus fort – même les Anglais savent cela. »
Walter rapporta ce qu’il venait
de voir : les camions, les trains, le détachement de communications qui
posaient des lignes téléphoniques.
« C’est certainement une
ruse, commenta Otto. Si c’était vraiment là qu’ils comptaient attaquer, ils se
donneraient plus de mal pour dissimuler leurs préparatifs. Ce sera une fausse
offensive ; la vraie aura lieu plus loin au nord, en Flandres.
— Que croit von Falkenhayn ? »
demanda Walter. Erich von Falkenhayn était chef d’état-major depuis presque
deux ans.
Son père sourit. « Il croit ce
que je lui dis. »
3.
Au moment du café, après le
déjeuner, Lady Maud interrogea Lady Hermia : « En cas d’urgence,
ma tante, sauriez-vous comment contacter l’avocat de Fitz ? »
Tante Herm eut l’air
passablement émue. « Ma chérie, voyons, que veux-tu que j’aie à faire avec
des avocats ?
— On ne sait jamais. »
Maud se tourna vers le majordome qui reposait la cafetière sur son petit
trépied d’argent. « Grout, soyez gentil et apportez-moi une feuille de
papier et un crayon. » Grout sortit et revint avec les objets demandés.
Maud nota le nom et l’adresse de l’avocat de la famille.
« Pourquoi en aurais-je
besoin ? insista tante Herm.
— Il n’est pas impossible
que je sois arrêtée cet après-midi, répondit Maud gaiement. Dans ce cas,
voulez-vous bien le prier de me faire sortir de prison ?
— Oh ! Tu ne parles pas
sérieusement, j’espère !
— Non, cela n’arrivera pas,
j’en suis sûre, dit Maud. Mais, vous savez, au cas où… » Elle embrassa sa
tante et quitta la pièce.
L’attitude de sa tante l’exaspérait.
Elle savait bien, pourtant, que la plupart des femmes auraient réagi comme
elle. Une dame n’avait pas à connaître le nom de l’avocat de la famille et
moins encore à être informée de ses droits légaux. Cela suffisait à expliquer l’exploitation
éhontée que subissaient les femmes.
Maud mit son chapeau, ses gants
et un léger manteau d’été, puis gagna la rue et monta dans l’autobus qui se
dirigeait vers Aldgate.
Elle était seule, sans chaperon.
Les règles de bienséance étaient moins strictes depuis le début de la guerre et
il n’était plus scandaleux qu’une femme célibataire sorte non accompagnée
pendant la journée. Tante Herm désapprouvait ce relâchement, mais elle ne
pouvait pas davantage tenir Maud cloîtrée qu’elle ne pouvait s’en remettre à Fitz,
qui se trouvait en France. À son corps défendant, elle était bien obligée d’accepter
la situation.
Maud était rédactrice de La
Femme du soldat, un journal à petit tirage qui luttait pour assurer
quelques droits aux personnes à la charge des combattants. Un député
conservateur avait qualifié ce périodique de « gêne pestilentielle pour le
gouvernement ». Depuis, cette citation, tel un emblème, figurait en
première page de tous les numéros. La rage que mettait Maud à faire campagne se
nourrissait de l’indignation que lui inspiraient la soumission imposée aux
femmes et la boucherie inutile provoquée par cette guerre. Son petit héritage
lui permettait de financer le journal. Elle n’avait pas vraiment besoin de cet
argent de toute façon, puisque Fitz continuait à assumer toutes ses dépenses.
Le journal était dirigé par Ethel
Williams. La promesse d’un meilleur salaire et d’un rôle dans cette campagne l’avait
facilement persuadée de quitter l’atelier où elle travaillait. Ethel partageait
la colère de Maud, mais ses compétences étaient très différentes des siennes.
Maud comprenait la politique vue d’en haut : elle fréquentait des
ministres et débattait avec eux de sujets d’actualité. Le monde politique que
connaissait Ethel était à cent lieues de celui de Maud : c’était celui du
syndicat national des ouvriers du textile, du parti travailliste indépendant,
des grèves, des lock-out, des défilés dans les rues.
Comme prévu, les deux jeunes
femmes se retrouvèrent dans la rue, en face de l’immeuble qui abritait les
bureaux
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