La Chute Des Géants: Le Siècle
étaient
en train de lui faire leurs adieux, Billy réprima durement les larmes qui lui
montaient aux yeux. « C’est bon », dit-il en se levant.
Gramper lui serra la main. Mam l’embrassa.
Da lui prit les deux mains puis, cédant à l’impulsion, le serra contre lui.
Billy n’avait pas souvenir que son père l’ait jamais pris dans ses bras.
« Que Dieu te garde et te
bénisse, Billy ! »
En voyant ses yeux humides, Billy
faillit s’effondrer. « Allez, salut ! » dit-il et il ramassa son
barda. Il entendit sa mère sangloter. Il sortit sans se retourner, refermant la
porte sur lui.
Inspirant profondément, il se calma
et s’élança sur la pente abrupte qui conduisait à la gare.
2.
La Somme traversait le nord de la
France d’est en ouest pour rejoindre la mer en faisant de nombreux méandres. La
ligne de front s’étirait du nord au sud et coupait le fleuve à proximité d’Amiens.
Au sud de la ville et jusqu’à la Suisse, les lignes alliées étaient tenues par
les Français. Les troupes stationnées au nord étaient anglaises pour la plupart
ou originaires du Commonwealth.
À partir de là, vers le
nord-ouest, une rangée de collines s’étendait sur une trentaine de kilomètres
et les Allemands y avaient creusé leurs tranchées à flanc de coteau. C’était de
l’une d’elles que Walter von Ulrich observait les positions britanniques à l’aide
de ses puissantes jumelles télescopiques Zeiss Doppelfernrohr.
En ce début d’été, la journée
était belle et ensoleillée, on entendait les oiseaux chanter. Dans un verger
voisin jusqu’ici épargné par les tirs, des pommiers courageux étaient en fleur.
L’homme était le seul animal à exterminer ses congénères par millions ; il
avait fait de cette campagne un terrain vague criblé de cratères d’obus et
hérissé de barbelés. Peut-être la race humaine finirait-elle par s’effacer
toute seule de la surface de la terre et par abandonner le monde aux oiseaux et
aux arbres, se dit Walter, emporté par des réflexions apocalyptiques. Et peut-être
serait-ce une excellente chose.
Cette position en hauteur
présentait de nombreux avantages, pensa-t-il en revenant à des considérations
plus pratiques. Notamment celui d’obliger les Anglais à escalader la pente pour
attaquer. Mais il y en avait un autre, plus précieux encore : les
Allemands pouvaient voir ce que faisait l’ennemi. Et en ce moment, justement,
Walter était persuadé qu’il préparait une offensive massive.
Une activité aussi intense ne
pouvait pas passer inaperçue. Depuis des mois, les Anglais cherchaient à
améliorer les routes et les voies de chemin de fer de cette région jadis
endormie de la province française. Ce n’était pas bon signe. Maintenant, ils
utilisaient ces voies d’accès pour acheminer jusqu’au front des canons par
centaines, des chevaux par milliers et des hommes par dizaines de milliers. À l’arrière,
des convois incessants de trains et de camions livraient des caisses de
munitions, des barils d’eau potable et des balles de foin. Walter régla ses
jumelles sur un détachement des communications occupé à creuser une étroite
tranchée et à y dérouler une énorme bobine – des fils téléphoniques, sans
aucun doute.
Ils doivent caresser de grands
espoirs, se dit-il avec une appréhension glacée. Une dépense aussi colossale en
hommes, en argent et en énergie ne se justifiait que si les Britanniques
considéraient cette offensive comme décisive. Walter espéra que ce serait le
cas. Quelle que soit l’issue des combats.
Chaque fois qu’il posait les yeux
sur le terrain occupé par l’ennemi, il pensait à Maud. La photographie qu’il
conservait dans son portefeuille, découpée dans les pages de la revue Tatler, la montrait au Savoy, dans une robe de bal d’une simplicité éblouissante. « Lady Maud
Fitzherbert, comme toujours à la pointe de la mode », indiquait la
légende. Aujourd’hui, Maud ne devait plus beaucoup aller au bal.
Participait-elle à l’effort de guerre, comme le faisait à Berlin Greta, la sœur
de Walter, qui visitait les blessés dans les hôpitaux militaires ? S’était-elle
retirée à la campagne, comme sa mère à lui, et cultivait-elle des pommes de
terre dans ses massifs de fleurs en raison de la pénurie alimentaire ?
Il ignorait si les Anglais
subissaient des rationnements eux aussi. En Allemagne, à cause du blocus
britannique qui interdisait aux bateaux de prendre
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