La Chute Des Géants: Le Siècle
même
dans les mouvements politiques qui prônaient l’égalité.
« Tout le monde est prêt ? »
demanda Ethel.
Maud lui rendit Lloyd et le groupe
traversa la rue pour pénétrer dans le bureau de l’association. Dans le
vestibule, une femme entre deux âges était assise à une table. Elle parut un
peu effrayée à la vue de cette foule.
« Ne vous inquiétez pas, la
rassura Maud. Mrs Williams et moi-même sommes ici pour rencontrer Mrs Hargreaves,
votre directrice. »
La réceptionniste se leva. « Je
vais voir si elle est là, dit-elle nerveusement.
— Elle est là, je le sais,
intervint Ethel. Je l’ai vue entrer il y a une demi-heure. »
La réceptionniste sortit à la
hâte.
La directrice n’était pas du
genre à se laisser impressionner aussi facilement. Mrs Hargreaves était
une femme corpulente d’une bonne quarantaine d’années ; elle portait une
redingote, une jupe et un chapeau à la dernière mode, orné d’un grand nœud
plissé. Mais cette tenue perdait tout son chic sur sa silhouette massive, pensa
Maud méchamment. Cette femme avait l’assurance que procure l’argent. Et un gros
nez. « Oui ? » lança-t-elle sèchement.
La lutte pour l’égalité des
femmes, songea Maud, vous obligeait parfois à combattre également les femmes. « Je
suis venue vous voir parce que je reste confondue devant le traitement que vous
avez réservé à Mrs McCulley. »
Mrs Hargreaves parut
déstabilisée, sans doute par l’accent aristocratique de sa visiteuse. Elle
dévisagea Maud de haut en bas en examinant soigneusement sa tenue. Elle dut en
conclure que son interlocutrice portait des vêtements aussi coûteux que les
siens. Et ce fut sur un ton beaucoup moins arrogant qu’elle répondit : « Je
crains de ne pouvoir discuter de cas individuels.
— Mrs McCulley, ici
présente, m’a demandé de venir vous parler.
— Vous vous souvenez pas de
moi, madame Hargreaves ? intervint Jayne McCulley.
— Si, parfaitement. Vous
vous êtes montrée d’une grossièreté insigne. »
Jayne se tourna vers Maud. « J’y
ai dit qu’elle avait qu’à aller fourrer son nez dans les affaires de quelqu’un
d’autre. »
Cette allusion à l’appendice
nasal de Mrs Hargreaves provoqua de petits gloussements chez les femmes
présentes. L’intéressée rougit.
« Tout de même, vous ne
pouvez pas rejeter une demande d’allocation de séparation sous prétexte que la
personne qui la réclame s’est montrée impolie, déclara Maud en maîtrisant sa
colère et en adoptant un ton de réprobation glaciale. Vous ne l’ignorez certainement
pas. »
Mrs Hargreaves redressa le
menton d’un air de défi. « On a vu Mrs McCulley au pub Au Chien et au
Canard et au music-hall Stepney, les deux fois avec un jeune homme. L’allocation
de séparation est destinée aux femmes d’une parfaite moralité. Le gouvernement
ne souhaite pas financer les comportements impudiques. »
Maud l’aurait étranglée avec
joie. « Je crains que vous n’ayez une conception erronée de votre rôle,
dit-elle. Il ne vous revient en aucun cas de refuser le versement de cette
allocation sur la seule foi de soupçons. »
Mrs Hargreaves parut un peu
moins sûre d’elle.
« Je suppose, intervint
Ethel, que Mr Hargreaves est en Angleterre, en sécurité ?
— Non, pas du tout, répliqua
vivement Mrs Hargreaves. Il est en Égypte, avec l’armée.
— Oh ! s’écria Ethel.
Dans ce cas, vous touchez également une allocation de séparation ?
— Là n’est pas la question.
— Quelqu’un se rend-il chez
vous, Mrs Hargreaves, pour vérifier que vous menez bien une vie rangée ?
Vérifie-t-on le niveau de xérès dans la carafe, sur votre buffet ? Vous
interroge-t-on sur l’amitié qui vous lie au livreur de l’épicier ?
— Comment osez-vous ! »
Maud enchaîna immédiatement :
« Votre indignation est parfaitement légitime, madame. Peut-être
comprenez-vous maintenant que Mrs McCulley ait réagi à vos questions comme
elle l’a fait ?
— C’est grotesque !
jeta Mrs Hargreaves en haussant le ton. Cela n’a rien de comparable !
— Ah bon ? s’indigna
Maud. Son mari risque sa vie pour son pays autant que le vôtre. Vous réclamez,
l’une et l’autre, cette allocation de séparation. La seule différence, c’est
que vous vous arrogez le droit de juger la conduite de cette femme et de ne pas
lui verser cette somme, alors que personne ne s’autorise à
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