La Chute Des Géants: Le Siècle
brillant,
le petit chercha à la saisir. Gramper le laissa faire et Lloyd prit bientôt
appui sur ses genoux pour examiner la montre.
Ethel ne se sentait plus chez
elle. Elle avait imaginé que son ancienne maison lui serait agréablement
familière, telles de vieilles bottes qui ont pris la forme de vos pieds à force
d’être portées ; en réalité, elle se sentait vaguement mal à l’aise, comme
si elle rendait visite à des voisins qu’elle connaissait bien. Elle ne pouvait
détacher les yeux des broderies délavées avec leurs versets bibliques
moralisateurs, et ne comprenait pas que sa mère ne les ait jamais changées
durant toutes ces années.
« Vous avez des nouvelles de
notre Billy ? demanda-t-elle à Gramper.
— Non, et toi ?
— Pas depuis son départ pour
la France.
— Il participe sûrement à
cette grande bataille sur la Somme.
— J’espère que non. Il
paraît que c’est une horreur.
— Oui, c’est atroce à en
croire les rumeurs. »
On était bien obligé de se
contenter de rumeurs, car les journaux publiaient des comptes rendus
volontairement flous et optimistes. De nombreux blessés avaient toutefois été
rapatriés dans les hôpitaux britanniques et les récits qui circulaient
faisaient état de scènes à vous glacer le sang, d’un carnage et d’une
incompétence avérée.
Mam entra. « Qu’est-ce qu’ils
peuvent être bavards dans ce magasin, à croire qu’ils n’ont rien d’autre à
faire ! Oh !… » Elle s’interrompit. « Grand Dieu, mais c’est
notre Eth ! » Elle éclata en sanglots.
Ethel la serra contre elle.
« Regarde, Cara, intervint
Gramper. C’est ton petit-fils, Lloyd. »
Mam s’essuya les yeux et prit le
petit garçon dans ses bras. « Qu’il est beau ! Et ces cheveux tout
bouclés ! On dirait Billy au même âge ! »
Lloyd dévisagea longuement Mam d’un
air apeuré, puis il se mit à pleurer.
Ethel le reprit dans ses bras en
disant sur un ton d’excuse : « Ces derniers temps, il fait le petit
garçon à sa maman.
— Ils sont tous pareils à
cet âge, répondit Mam. Profites-en, ça ne durera pas.
— Où est Da ? »
demanda Ethel en essayant de ne pas laisser transparaître son anxiété.
Sa mère se crispa. « À
Caerphilly, à une réunion syndicale. » Elle jeta un coup d’œil à la pendule.
« Il ne va plus tarder, il devrait être de retour pour le thé. S’il n’a
pas manqué son train. »
Ethel sentit que Mam espérait qu’il
serait en retard. Elle le souhaitait elle aussi, pour pouvoir passer plus de
temps avec sa mère avant l’orage.
Mam prépara le thé et posa sur la
table une assiette de gâteaux sucrés, une spécialité galloise. « Ça fait
deux ans que je n’en ai pas mangé, dit Ethel en se servant. Quel délice !
— Voilà ce que j’appelle le
bonheur ! s’écria Gramper avec plaisir. Ma fille, ma petite-fille et mon
arrière-petit-fils tous ensemble dans la même pièce. Qu’est-ce qu’un homme peut
demander de plus à la vie ? » Il prit un gâteau.
La plupart des gens, songea
Ethel, trouveraient bien médiocre la vie de Gramper, assis toute la journée
dans une cuisine enfumée, vêtu de son unique costume. Mais il était content de
son sort et, aujourd’hui au moins, elle l’avait rendu heureux.
Sur ces entrefaites, son père
arriva.
Mam était en train de parler :
« Une fois, à ton âge, j’aurais eu l’occasion d’aller à Londres, mais ton
Gramper… » quand la porte d’entrée s’ouvrit. Elle s’interrompit net. Tous
les yeux se braquèrent sur Da, en costume de ville et casquette plate de
mineur. Il était en nage après avoir monté la côte. Il fit un pas à l’intérieur
de la pièce et se figea, le regard dur.
« Regarde qui est venu, fit
Mam avec une gaieté forcée. Ethel et ton petit-fils. » Sa pâleur
trahissait son appréhension.
Da ne dit rien. Il ne retira même
pas sa casquette.
Ethel lança : « Bonjour,
Da. Je te présente Lloyd. »
Il ne la regarda pas.
Gramper intervint : « Le
petit te ressemble, Dai mon garçon. Il a ta bouche, regarde un peu. »
Sensible à la tension soudaine,
Lloyd se mit à pleurer.
Da ne desserrait pas les dents.
Ethel se dit qu’elle n’aurait pas dû lui imposer sa présence sans l’avertir.
Elle n’avait pas voulu lui donner l’occasion de lui interdire de venir et se
rendait compte que la surprise avait pour effet de le mettre sur la défensive.
Il avait l’air acculé.
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