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La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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obscurcissaient la
ville, tandis que la lumière brillait à toutes les fenêtres du palais. À
travers les vitres encadrées de rideaux de velours comme une scène de théâtre,
on pouvait apercevoir valets et femmes de chambre dans des uniformes
impeccables passer rapidement, portant des bouteilles de vin, des plats remplis
de mets raffinés et des plateaux en argent croulant sous les fruits. Dans le
vestibule un petit orchestre jouait et les accords d’une symphonie se faisaient
entendre jusque dans la rue. De grandes voitures rutilantes venaient se garer
devant le perron, les valets se précipitaient pour ouvrir les portières et les
invités en émergeaient, les hommes en redingote noire et haut-de-forme, les
femmes emmitouflées dans des fourrures. Une petite foule s’était massée sur le
trottoir d’en face pour assister au spectacle.
    La scène n’avait rien d’exceptionnel,
à une différence près : chaque fois qu’un invité descendait de voiture, la
foule le huait et se moquait de lui. Jadis, la police aurait dispersé la
populace à coups de bâton en moins d’une minute. À présent, il n’y avait pas de
policiers, et les convives se hâtaient de gravir les marches entre les deux
rangées de soldats et de s’engouffrer à l’intérieur, peu désireux de rester à
découvert plus longtemps que nécessaire.
    Les badauds avaient bien raison
de railler la noblesse qui avait fait de cette guerre un épouvantable gâchis,
se disait Grigori. Si des troubles devaient éclater, il aurait tendance à
prendre le parti de la foule. En tout cas, il ne tirerait pas sur ces gens. Pas
plus que ne le feraient nombre de ses compagnons, il en était convaincu.
    Comment les nobles pouvaient-ils
donner des fêtes aussi somptueuses par les temps qui couraient, quand la moitié
de la Russie mourait de faim et que même sur le front les soldats ne recevaient
que des rations réduites ? Les hommes comme Andreï méritaient d’être
égorgés dans leur lit. Si je le vois, pensa Grigori, il faudra que je me
retienne pour ne pas l’abattre comme le commandant Azov.
    Le ballet des voitures s’acheva
sans incident ; la foule se lassa et finit par se disperser. Grigori passa
l’après-midi à dévisager les femmes qui allaient et venaient, espérant malgré
tout apercevoir Katerina. Quand les invités commencèrent à repartir, il faisait
déjà sombre. Le froid n’incitant pas les curieux à traîner dans les rues, les
quolibets avaient cessé.
    La soirée achevée, les soldats
furent invités à entrer par la porte de service et à terminer les restes dont
le personnel n’avait pas voulu : reliefs de viande et de poisson, légumes
froids, petits pains à moitié grignotés, pommes et poires. La nourriture avait
été abandonnée en vrac sur une table à tréteaux, les tranches de jambon
recouvertes de pâté au poisson, les fruits baignant dans la sauce de la viande
et le pain parsemé de cendres de cigare. Mais les soldats avaient connu bien
pire dans les tranchées. De plus, ils n’avaient rien avalé depuis la bouillie
de sarrasin et la morue salée du petit déjeuner. Ils se jetèrent donc sur ces
victuailles avec voracité.
    À aucun moment Grigori n’entrevit
le visage haï du Prince Andreï. Cela valait peut-être mieux.
    De retour à la caserne, ils
remirent leurs armes et on leur accorda quartier libre pour la soirée. Grigori
était fou de joie : il allait enfin revoir Katerina. Il se rendit à la
baraque des cuisines, quémanda un quignon de pain et de la viande : les
sergents avaient quelques privilèges. Puis il astiqua ses bottes et partit.
    Le quartier de Vyborg, où se
trouvait la caserne, s’étendait au nord-est de la ville ; Katerina vivait
à Narva, situé diamétralement à l’opposé, en admettant qu’elle n’ait pas quitté
la chambre qu’il occupait autrefois, près des usines Poutilov.
    Il descendit la perspective
Samsonievski en direction du sud et franchit le pont Liteïni qui menait au
centre de la ville. Certains magasins chic aux vitrines brillamment éclairées
étaient encore ouverts, mais la plupart des boutiques étaient fermées. Les
commerces populaires n’avaient pas grand-chose à vendre. L’étalage d’une
boulangerie contenait en tout et pour tout un unique gâteau et un écriteau
annonçant : « Pas de pain avant demain. »
    La vaste perspective Nevski lui
rappela le jour fatidique de 1905 où il était sorti se promener avec sa mère et
où les soldats

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