La Chute Des Géants: Le Siècle
progrès. J’ai lu un article de ta camarade Ethel dans
une revue. » En feuilletant le New Statesman à son cercle, Fitz
avait été stupéfié de tomber sur un texte de son ancienne intendante. Il avait
reconnu avec un certain malaise qu’il n’aurait pas été capable de rédiger un
article aussi clair et aussi solidement argumenté. « Son idée est que les
femmes doivent accepter parce que c’est mieux que rien.
— J’ai bien peur de ne pas
être de son avis, fit Maud d’un ton froid. Je n’ai pas l’intention d’attendre d’avoir
trente ans pour être considérée comme un membre de la race humaine.
— Vous vous êtes disputées ?
— Nous avons décidé de
poursuivre notre chemin chacune de son côté. »
Maud était manifestement
furieuse. Pour détendre l’atmosphère, Fitz se tourna vers Lady Hermia. « Si
le Parlement accorde le droit de vote aux femmes, ma tante, à qui donnerez-vous
votre voix ?
— Je ne suis pas sûre que je
voterai. C’est un peu commun, non ? »
Maud prit l’air exaspéré, mais
Fitz sourit. « Si les dames de la bonne société réagissent comme vous,
seules les ouvrières iront voter et elles porteront les socialistes au pouvoir.
— Oh, mon Dieu !
soupira Herm. Dans ce cas, il vaudra peut-être mieux que j’aille voter.
— Vous soutiendriez Lloyd
George ?
— Un avocat gallois ?
Jamais de la vie.
— Peut-être Bonar Law, le
chef de file des conservateurs ?
— Probablement.
— Mais il est canadien.
— Oh, Seigneur !
— Voilà l’ennui quand on a
un empire. La racaille du monde entier croit en faire partie. »
La bonne d’enfants arriva avec
Boy. Il avait deux ans et demi maintenant. C’était un petit bonhomme potelé,
blond comme sa mère. Il courut vers Bea, qui le prit sur ses genoux. Il annonça :
« J’ai eu du porridge et Nursie a fait tomber le sucre ! » Et il
éclata de rire. C’était la grande affaire du jour à la nursery.
Bea était vraiment épanouie en
présence de son fils, constata Fitz. Son expression s’adoucissait. Elle se
montrait affectueuse, le dorlotait, l’embrassait. Au bout d’un moment, il se
tortilla pour s’échapper et se dirigea vers Fitz en se dandinant. « Comment
va mon petit soldat ? Tu continues à bien grandir pour aller tuer les
Allemands ?
— Pif ! Paf ! »
fit Boy.
Fitz remarqua que son nez
coulait. « Il est enrhumé, Jones ? » demanda-t-il d’un ton
brusque.
La nurse eut l’air effrayé. C’était
une jeune fille d’Aberowen qui avait suivi une formation professionnelle. « Non,
monsieur le comte, certainement pas… nous sommes en juin !
— On peut attraper des
rhumes en été.
— Il allait très bien
aujourd’hui. Il a simplement le nez qui coule un peu.
— Sans doute. » Fitz
prit un mouchoir de fil dans la poche intérieure de son costume de soirée et
essuya le nez du petit garçon. « A-t-il joué avec des enfants du peuple ?
— Non, monsieur le comte…
— Et au parc ?
— Il n’y a que des enfants
de bonne famille à l’endroit où nous allons. J’y veille soigneusement.
— Je l’espère. Cet enfant
est l’héritier du titre des Fitzherbert. Il pourrait même être prince russe. »
Fitz posa Boy à terre et l’enfant
se précipita vers sa nourrice.
Grout reparut, présentant une
enveloppe sur un plateau d’argent.
« Un télégramme, monsieur le
comte. Adressé à la princesse. »
Fitz fit signe à Grout de remettre
le câble à Bea. Avec une moue inquiète – tout le monde redoutait les
télégrammes en ces temps de guerre –, elle déchira l’enveloppe. Elle en
parcourut le contenu puis poussa un cri d’effroi.
Fitz se leva d’un bond. « Que se passe-t-il ?
— Mon frère !
— Il est en vie ?
— Oui… blessé. » Elle
se mit à pleurer. « On l’a amputé d’un bras, mais il se remet. Oh, pauvre
Andreï ! »
Fitz prit le télégramme qui
annonçait également que le prince Andreï avait été ramené à Boulovnir, sa
propriété de la province de Tambov, au sud-est de Moscou. Fitz espérait qu’il
se remettait réellement. Bien des hommes mouraient d’infection et l’amputation
ne suffisait pas toujours à empêcher la gangrène.
« Je suis absolument désolé,
ma chère », dit-il. Maud et Herm encadraient Bea, cherchant à la
réconforter. « Le télégramme affirme qu’une lettre suit, mais Dieu sait
combien de temps elle mettra à nous parvenir.
— Je
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