La Chute Des Géants: Le Siècle
médecin.
Ce dernier revint à sa patiente.
Elle avait la paume vilainement entaillée, la main et le poignet enflés. Se
tournant vers la mère, il demanda : « Comment s’est-elle fait cela ? »
Ce fut la petite qui répondit :
« Ma mère ne parle pas anglais. Je me suis coupée au travail.
— Et ton père ?
— Il est mort. »
Maud expliqua calmement : « Le
dispensaire est destiné aux familles sans père, mais dans les faits, nous ne
renvoyons jamais personne. »
Greenward s’adressa à Rosie :
« Quel âge as-tu ?
— Onze ans. »
Walter murmura : « Je
croyais que les enfants n’avaient pas le droit de travailler avant treize ans.
— Il y a toujours moyen de
contourner la loi, répondit Maud.
— Qu’est-ce que tu fais
comme travail ? demanda Greenward.
— Je fais le ménage à l’atelier
de couture de Mannie Litov. Il y avait une lame dans les balayures.
— Quand tu te coupes, il
faut toujours laver la plaie et mettre un bandage propre. Ensuite, il faut
changer le pansement tous les jours pour qu’il ne se salisse pas trop. » L’attitude
de Greenward était ferme mais bienveillante.
La mère adressa une question à sa
fille d’une voix rauque, dans un russe lourdement accentué. S’il ne comprit pas
ce qu’elle disait, Walter saisit pourtant l’essentiel de la réponse de la
fillette, qui résuma pour sa mère les propos du médecin.
Celui-ci se tourna vers l’infirmière.
« Nettoyez cette main et bandez-la, s’il vous plaît. » Et, s’adressant
à Rosie : « Je vais te donner une pommade. Si ton bras enfle encore, reviens
me voir la semaine prochaine. Entendu ?
— Oui, monsieur.
— Si l’infection s’aggrave,
tu pourrais perdre ta main, tu sais. »
Les yeux de Rose s’embuèrent.
« Pardon de te faire peur,
expliqua le médecin, mais je veux que tu comprennes qu’il est absolument
essentiel que ta plaie reste propre. »
L’infirmière prépara un bol
contenant probablement un liquide antiseptique. Walter intervint : « Me
permettez-vous d’exprimer toute l’admiration et le respect que m’inspire le
travail que vous accomplissez ici, docteur ?
— Merci. Je suis heureux de
donner un peu de mon temps, mais nous sommes obligés d’acheter des fournitures
médicales. Toute l’aide que vous pourrez nous offrir sera précieuse.
— Laissons le docteur
poursuivre son travail, suggéra Maud. Il a au moins vingt patientes qui l’attendent. »
En quittant le cabinet de
consultation, Walter avait peine à dissimuler sa fierté : Maud ne se
contentait pas d’avoir l’âme compatissante, quand on leur parlait de jeunes
enfants obligés de travailler dans des ateliers où on les exploitait, bien des
dames de l’aristocratie essuyaient une larme avec leur mouchoir brodé. Maud
possédait, elle, la détermination et le courage d’apporter une aide concrète.
Et elle l’aimait !
« Puis-je vous offrir
quelque chose à boire, Herr von Ulrich ? proposa-t-elle. Mon bureau a beau
être très exigu, j’ai une bouteille du meilleur xérès de mon frère.
— Très aimable à vous, mais
nous devons y aller. »
C’était un peu expéditif, songea
Walter. Apparemment, le charme de Maud avait cessé d’opérer. Il avait la nette
impression que quelque chose avait déplu à son père.
Otto sortit son portefeuille et
en tira un billet de banque. « Je vous prie d’accepter cette modeste
contribution à l’excellent travail que vous accomplissez ici, Lady Maud.
— Quelle générosité ! »
remercia-t-elle.
Walter lui tendit un billet
identique. « Peut-être serai-je autorisé à faire un don, moi aussi.
— Croyez que j’apprécie tout
ce que vous pouvez offrir », répondit-elle. Walter espérait être le seul à
avoir surpris le regard coquin dont elle avait accompagné ces paroles.
« N’oubliez pas de
transmettre mes respects au Comte Fitzherbert », ajouta Otto.
Ils prirent congé. Walter était
ennuyé par la réaction de son père. « Lady Maud n’est-elle pas
merveilleuse ? lança-t-il d’un ton jovial tandis qu’ils reprenaient la
direction d’Aldgate. C’est Fitz qui paye tout, bien sûr, mais Maud fait un
travail remarquable.
— Scandaleux, grommela Otto.
Proprement scandaleux. »
Sa mauvaise humeur n’avait pas
échappé à Walter, qui n’en fut pas moins étonné. « Bigre, que voulez-vous
dire ? Je croyais que vous étiez très favorable à ce que les dames de
bonne
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