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La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

Titel: La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Verne
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murmurait :
    – Karval, je serai sans pitié ! sans pitié !…
    Il était près de huit heures quand le comte et Kernan quittèrent le château ; ni la faim, ni la fatigue ne purent les arrêter un seul instant. Ils se jetèrent à travers champs, et une dernière fois, en se retournant, le Breton aperçut derrière les arbres dépouillés les murs du château de ses maîtres.
    Alors le fidèle serviteur guida le comte presque fou de douleur ; il se chargea d’avoir du courage et de l’intelligence pour deux ; afin d’éviter toute mauvaise rencontre, il prit par les chemins de traverse, et rejoignit bientôt la grande route de Concarneau à Quimper au village de Kerroland.
    Le comte et Kernan ne se trouvaient plus qu’à deux lieues et demie de Quimper, et du pas dont ils marchaient ils devaient y arriver avant dix heures du matin.
    – Où est-elle ?… où est ma fille ?… murmurait le comte, qui eût fait pitié aux cœurs les plus endurcis. Morte ! morte !… comme sa pauvre mère !
    De lugubres visions lui venaient à l’esprit, et si épouvantables, que, pour les dissiper, il se prenait à courir, comme si la vision n’eût pas été en lui.
    Kernan ne le quittait pas ; il le suivait dans ses bonds insensés, et le forçait même à se jeter dans les halliers quand quelque passant apparaissait au loin sur la route. Tout homme devenait dangereux en pareille circonstance, et, dans l’état d’agitation où il se trouvait, le comte se fût dénoncé lui-même.
    Certes, le Breton souffrait autant que son maître, mais il méditait en même temps des projets de vengeance auxquels celui-ci ne songeait pas. Sa douleur était mélangée d’une immense somme de colère. Puis il réfléchissait et se posait des questions auxquelles il ne pouvait répondre. Qu’allait faire le comte à la ville ?
    Si son enfant était emprisonnée, réussirait-il à la ravoir ? La justice révolutionnaire ne rendait jamais sa proie, et le comte lui-même serait arrêté à la moindre démarche suspecte.
    Donc, sans plan arrêté, sans idée préconçue, ces deux hommes allaient comme à l’aventure, mais poussés par une invincible puissance.
    Suivant les prévisions de Kernan, avant dix heures ils arrivèrent aux faubourgs de Quimper. Les rues étaient à peu près désertes, mais on pouvait entendre au loin une sorte de murmure funeste. Toute la population semblait s’être accumulée vers le centre de la ville. Kernan prit donc hardiment par les rues en contenant son maître, qui répétait à voix basse :
    – Ma fille ! mon enfant !
    Le père souffrait en lui plus encore que le mari, dont la douleur était sans remède.
    Après une marche de dix minutes, le maître et le serviteur arrivèrent à l’une des rues qui avoisinent la cathédrale ; là, ils se trouvèrent en queue d’un fort rassemblement.
    Il y avait des gens qui vociféraient, qui hurlaient ; d’autres, effrayés, regagnaient leurs maisons, dont ils fermaient les portes et les fenêtres. On entendait des accents de douleur mêlés à des imprécations ; il y avait des visages terrifiés près de faces sanguinaires. Quelque chose de sinistre planait dans l’air.
    Bientôt, au milieu du bruit, se firent entendre ces paroles :
    – Les voilà ! les voilà !
    Mais ni le comte ni Kernan ne purent voir ce qui excitait la curiosité de la foule. À ces paroles, d’ailleurs, succédèrent immédiatement les cris longuement prolongés de :
    – À bas les Blancs ! à bas les aristocrates ! vive la République !
    Évidemment, il se passait quelque chose d’épouvantable sur la place voisine ; au tournant de la rue, toutes les figures étaient tendues vers un même point, et la plupart, il faut le dire, reflétaient des passions inhumaines, qui venaient chercher dans ce spectacle leur cruelle satisfaction.
    On entendait de temps à autre des murmures plus violents ; à un certain moment, quelque chose d’extraordinaire parut se passer sur la place, car les mots :
    – Non ! pas de grâce ! pas de grâce ! prononcés, hurlés plutôt par les gens qui voyaient, refluèrent jusqu’aux derniers rangs des spectateurs.
    Le visage du comte était baigné d’une sueur froide.
    – Qu’est-ce qu’il y a ? se demandait-on autour de lui.
    Et sans savoir, par un instinct de férocité, on s’écriait :
    – Pas de grâce ! pas de grâce !
    Kernan et le comte voulurent se frayer à tout prix un chemin dans la foule, mais

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