La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
prit, pour leur faire honneur, le titre de Section du Finistère.
Quimper, entre autres, fut une des villes les plus agitées, ce qu’on n’eût guère attendu de ce chef-lieu enfoui au fond de la Basse-Bretagne. Les Amis de la Constitution s’y fondèrent et siégèrent dans l’ancienne chapelle des cordeliers. Les clubs s’y multiplièrent, et plus tard ce fut l’un d’eux qui décréta que les nourrissons quitteraient le sein de leur nourrice pour venir écouter les cris de Vive la Montagne ! et que les enfants apprendraient à parler en bégayant la Déclaration des droits de l’homme.
Cependant, quand les administrateurs de Quimper, Kergariou en tête, virent la tournure des choses et où allait la Révolution, ils voulurent enrayer le mouvement ; ils interdirent certains journaux, tels que L’Ami du Peuple de Marat ; la commune de Paris envoya alors pour les mettre à la raison un proconsul ; mais à son arrivée, les Quimperrois l’emprisonnèrent au fort du Taureau, et protestèrent plus énergiquement encore que les girondins de Paris contre les montagnards de la Convention ; ils envoyèrent même avec Nantes deux cents volontaires à Paris pour appuyer leur protestation à main armée, ce qui amena un décret d’accusation en masse contre les administrations de la Bretagne. Mais, après la mort de Louis XVI, après l’exécution des girondins, quand la France fut prise de vertige, lorsque le régime de la Terreur s’établit, les républicains réactionnaires de la Bretagne furent débordés.
Cependant, si les habitants des villes avaient donné dans le mouvement, les campagnes se signalèrent tout d’abord par leur résistance à l’installation des prêtres assermentés ; ils les chassèrent honteusement ; puis, quand arriva la loi du recrutement, il devint très difficile de contenir les paysans du Finistère, ceux du Morbihan, de la Loire-Inférieure et des Côtes-du-Nord. Le général Canclaux put à peine les dompter avec son armée et les milices municipales. Il dut même, le 19 mars, livrer, à Saint-Pol-de-Léon, une bataille rangée.
Le Comité de salut public résolut d’agir alors avec la plus extrême rigueur contre les villes et contre les campagnes. Il envoya deux délégués, Guermeur et Julien, qui organisèrent le sans-culottisme dans la Bretagne et à Quimper surtout.
Avec eux, ces proconsuls apportaient la loi des suspects de septembre 1793, cette œuvre de Merlin, de Douai, qui était libellée en ces termes :
« Sont réputés suspects :
« 1° Ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté.
« 2° Ceux qui ne pourront pas justifier de leur manière d’exister et de l’acquit de leurs droits civiques.
« 3° Ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme.
« 4° Les fonctionnaires publics, suspendus ou destitués de leurs fonctions.
« 5° Ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution. »
Armés de cette loi, les délégués du Comité de salut public étaient maîtres du département. Qui pouvait espérer d’échapper à ces mesures révolutionnaires ? Il n’était personne qui ne tombât plus ou moins directement sous le coup de ces terribles articles. Aussi, les représailles allèrent bon train, et le Finistère tout entier fut livré à la plus extrême terreur.
Guermeur et Julien étaient accompagnés d’un sous-agent du comité, d’un infime personnage, qui n’était autre que ce Karval, ce maudit promis à la vengeance de Kernan.
Ce misérable s’était produit à Paris, et fait remarquer dans les clubs ; il s’était glissé dans les rangs des terroristes et accompagnait les délégués, comme connaissant plus particulièrement le département du Finistère.
Il y venait en réalité exercer ses plus basses vengeances contre le pays qui l’avait chassé. Armé de cette loi des suspects, il ne lui était pas difficile d’atteindre la famille de Chanteleine.
Aussi, le lendemain de son arrivée à Quimper, il se mit en devoir d’agir.
Ce Karval était un homme de taille moyenne, porteur de l’une de ces mauvaises figures que la haine, la bassesse et la méchanceté ont faites peu à peu ; chaque vice nouveau s’y
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