La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
imprégnait et y laissait ses stigmates ; il ne manquait pas d’intelligence, mais, à le voir, on sentait que ce devait être un lâche. Comme beaucoup de ces héros de la Révolution, il fut sanguinaire par peur, mais par peur aussi il restait inflexible, et rien ne pouvait le toucher.
Le lendemain de son arrivée, le 14 septembre, il alla trouver Guermeur :
– Citoyen, dit-il, il me faut cent hommes de la milice.
– Qu’en veux-tu faire ? demanda Guermeur.
– J’ai une tournée à opérer dans mon pays.
– Où cela ?
– Du côté de Chanteleine, entre Plougastel et Pont-l’Abbé. Je connais là un nid de Vendéens !
– Es-tu certain de ce que tu avances ?
– Certain. Demain, je t’amène le père et la mère.
– Ne laisse pas échapper les petits ! répliqua en riant le farouche proconsul.
– Sois tranquille ! ça me connaît. J’ai déniché des merles autrefois, et je veux leur apprendre à siffler le Ça ira !
– Va donc ! dit Guermeur en signant l’ordre que Karval demandait.
– Salut et fraternité ! dit Karval en se retirant. Le lendemain, il se mit en marche avec son détachement, composé des forcenés de la ville ; le jour même, il arrivait à Chanteleine.
Les paysans, à la vue de Karval, qu’ils connaissaient bien, livrèrent un combat désespéré ; ils comprirent qu’il fallait vaincre ou mourir, mais ils furent vaincus, après avoir voulu défendre leur bonne dame.
La comtesse de Chanteleine, entre sa fille, l’abbé de Fermont et ses serviteurs, attendait dans les transes les plus vives l’issue de la bataille.
Elle la connut bientôt. Les miliciens de Quimper s’emparèrent du château. Karval, à leur tête, s’élança dans ses appartements en criant :
– Mort aux nobles ! mort aux Blancs ! mort aux Vendéens !
La comtesse, éperdue, voulut fuir, mais elle n’en eut pas le temps. Les forcenés arrivèrent jusqu’à elle dans la chapelle du château, où elle s’était réfugiée.
– Arrêtez cette femme et sa fille, femme et fille de brigand ! s’écria Karval, ivre de sang et de joie, et ce calotin, ajouta-t-il en désignant l’abbé de Fermont.
Marie s’était évanouie dans les bras de sa mère, à laquelle on l’arracha.
– Et ton mari, le comte ? demanda Karval d’une voix féroce.
La comtesse le regarda fièrement sans répondre.
– Et Kernan ? s’écria-t-il.
Même silence. Sa rage fut grande alors de voir que ces deux hommes lui échappaient, et dans sa colère il frappa la comtesse d’un coup mortel ; la malheureuse femme tomba en jetant un dernier regard d’angoisse sur sa fille. Karval chercha, fouilla, mais en vain.
– Ils sont à l’armée des brigands, s’écria-t-il. Bon ! je les retrouverai !
Puis, s’adressant à ses hommes :
– Emmenez cette fille, dit-il, c’est toujours ça !
Marie, inanimée, fut mise, en compagnie de l’abbé de Fermont, au milieu des paysans arrêtés ; on leur attacha les mains ; on les parqua comme des bestiaux, et ils furent emmenés.
Le lendemain, Karval ramenait ses prisonniers à Guermeur.
– Et le mâle ? fit Guermeur en riant.
– Envolé ! mais sois tranquille, répondit Karval avec un hideux sourire, je le repincerai.
Marie de Chanteleine et ses malheureux compagnons furent jetés pêle-mêle dans les prisons de la ville ; la jeune fille ne retrouva sa connaissance qu’entre les murs de son cachot.
Mais les prisons finissaient par devenir trop étroites ; aussi travailla-t-on à les vider, et l’instrument de mort fonctionna sans relâche sur la grande place de Quimper. Il fut même question de l’installer dans le prétoire du tribunal pour aller plus vite.
On sait comment procédait, dans ces temps de terreur, la justice révolutionnaire, quelles formalités étaient remplies et quelles garanties entouraient les accusés.
Le tour de la malheureuse jeune fille ne pouvait tarder à venir.
Voilà ce qui s’était passé depuis ces deux mois pendant lesquels le comte de Chanteleine avait été sans nouvelles de sa femme et de sa fille ; voilà de quelles épouvantables scènes son château fut le théâtre.
Alors Kernan comprit cet air de vengeance satisfaite que respirait la figure de Karval, quand, au milieu de la mêlée, il lui lança ces paroles terribles :
– On t’attend au château de Chanteleine !…
Aussi, tout en marchant, en soutenant son maître que ce désastre abattait, il
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