La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
voir si faible, il craignait qu’elle ne pût supporter les fatigues de la route ; les scènes de l’échafaud revenaient parfois à l’esprit de Marie avec une telle vivacité qu’elle paraissait sur le point de s’évanouir. Elle tressaillait au moindre bruit ; elle savait ses bourreaux encore si près d’elle ! Cependant, les caresses de son père, celles de Kernan lui rendirent un peu de force, et elle se déclara prête à tout braver pour quitter cette ville dans laquelle elle laissait d’épouvantables souvenirs.
Il fallut alors procéder à sa toilette.
On fit venir la vieille dame, à laquelle le comte adressa de vives paroles de reconnaissance. Cette digne femme put fournir des vêtements de paysanne. La jeune fille, restée seule dans sa chambre avec sa bienfaisante hôtesse, revêtit ce costume, sous lequel on ne devait pas soupçonner Marie de Chanteleine, des bas de laine rouge usés par un fréquent lavage, une jupe de laine rayée, avec un tablier de grosse toile qui l’entourait tout entière.
Marie de Chanteleine était une jeune fille de dix-sept ans ; elle ressemblait beaucoup au comte, avec ses doux yeux bleus, alors rougis par les larmes, et sa bouche charmante qui essayait de sourire ; elle avait cruellement souffert pendant sa détention, mais un observateur attentif eût reconnu toute sa réelle beauté. Le reste de ses cheveux blonds, coupés par la main du bourreau, se dissimula facilement sous la coiffe bretonne qui lui enveloppait la tête suivant la mode du pays ; le haut de son tablier se rabattit sur son corsage, retenu par des pattes fixées au moyen de grosses épingles ; ses mains blanches furent frottées de terre afin de prendre une couleur moins suspecte, et, ainsi vêtue, elle eût été méconnaissable à tous, même à Karval, son plus terrible ennemi.
Au bout d’une demi-heure sa toilette était terminée, et elle fut prête à partir. Sept heures du matin sonnaient à l’horloge de la Municipalité, il faisait à peine jour, et les fugitifs, après de sympathiques adieux à la vieille dame, quittèrent la ville sans avoir été remarqués.
Il s’agissait de gagner d’abord la grande route d’Audierne qui conduit à Douarnenez. Kernan connaissait parfaitement le pays ; il fit prendre à la petite troupe des chemins détournés, plus longs mais plus sûrs ; on ne pouvait marcher vite ; Marie se traînait à peine et s’appuyait tantôt sur le bras de son père et tantôt sur celui de Kernan. Mais on voyait au prix de quels efforts elle parvenait à se soutenir ; ce grand air pur, dont elle avait été privée pendant sa douloureuse incarcération et qu’elle aspirait à pleins poumons, lui causait une sorte de vertige et l’enivrait comme un vin généreux.
Au bout de deux heures de marche, elle fut contrainte de s’arrêter et demanda quelques instants de repos. Les fugitifs firent halte.
– Nous n’arriverons pas aujourd’hui, dit Kernan.
– Non, répondit le jeune homme, nous serons obligés de demander asile dans quelque maison.
– Toute maison me paraît suspecte, répondit le Breton, et, s’il le fallait absolument, j’aimerais mieux prendre quelques heures de repos sous un hallier de la route.
– Continuons, mes amis, répondit Marie après un quart d’heure d’arrêt, je puis encore faire quelques pas ; lorsque cela me sera tout à fait impossible, je vous le dirai.
Et l’on reprit la marche interrompue. La neige avait cessé, mais il faisait froid ; Kernan se débarrassa de sa peau de bique et en couvrit les épaules de la jeune fille.
Vers onze heures du matin, les voyageurs avaient à peine fait deux lieues ; le village de Plonéis n’était pas encore dépassé ; la campagne semblait déserte ; on ne voyait pas même une cabane de chaume ; le sol disparaissait tout entier sous d’immenses nappes blanches. Marie ne pouvait plus faire un pas. Kernan fut obligé de la prendre et de la porter ; mais la pauvre enfant, que la marche ne réchauffait plus, demeurait glacée entre les bras du Breton ; le comte, le chevalier se dépouillèrent de leurs vestes et entourèrent ses pieds du mieux qu’ils purent.
Enfin, tant bien que mal, le soir, après avoir suivi la grande route, on parvint au village de Kermingny ; il restait encore plus d’une lieue et demie à faire pour arriver à Douarnenez ; mais alors le froid devint tel qu’on fut obligé de s’arrêter ; Marie perdait connaissance.
– Elle ne
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