La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
côté du bourg, se nomme le Guet.
C’est à cette pointe même que s’élevait la petite maison du bonhomme Locmaillé. De ses fenêtres latérales, on pouvait apercevoir toute l’échancrure de la baie, depuis le cap de la Chèvre jusqu’à Douarnenez. Cette maisonnette se distinguait peu des roches environnantes ; elle n’était pas belle, mais solide et sûre.
Elle se composait d’une salle basse, avec une large cheminée autour de laquelle on suspendait les filets mouillés et les engins de pèche, et de trois petites chambres au-dessus, d’où l’on apercevait la barque du pêcheur échouée ou flottante dans la rivière, suivant les caprices de la marée.
Elle était habitée par le bonhomme Locmaillé, âgé de soixante ans, un serviteur dévoué de la famille, un autre Kernan, moins l’instruction.
C’est là que furent reçus le comte de Chanteleine et sa fille ; le bonhomme leur fit comprendre qu’ils étaient chez eux, et en entrant ils ne purent retenir un soupir de satisfaction ; cette humble cabane leur apparaissait comme un lieu de refuge, sinon un lieu d’asile.
Bien que la demeure fût petite, Henry trouva moyen de réserver une chambre pour la jeune fille, une autre pour le comte et même une sorte de petit cabinet pour lui ; suivant la coutume, ces chambres ne communiquaient pas avec la salle basse, et on y arrivait par un escalier de pierre construit extérieurement.
La grande salle convenait parfaitement au bonhomme Locmaillé et à Kernan, décidé à devenir un pécheur déterminé, en attendant mieux.
Les installations ne furent pas longues ; un feu de sarment crépita bientôt dans la chambre de Marie, et une demi-heure après son arrivée à Douarnenez elle était véritablement chez elle. Pour la première fois, le père et la fille pouvaient se trouver enfin seuls, et ils se retirèrent. On respecta leur isolement.
Pendant ce temps, Kernan, aidé de Locmaillé, prépara un déjeuner frugal, fait de poissons frais et de quelques œufs ; lorsque le comte et sa fille redescendirent, les proscrits s’installèrent dans la chambre basse ; ils mangèrent dans des écuelles avec de l’argenterie de bois noir, sans linge, sur une table raboteuse, mais au moins en sûreté dans cette maison de pêcheur.
– Mes amis, dit le chevalier, le Ciel nous a protégés en nous conduisant jusqu’ici, mais il ne veut nous aider qu’à la condition que nous nous aiderons nous-mêmes ; parlons donc de nos projets à venir.
– Mon cher enfant, répondit le comte, nous nous en rapportons à vous ; je remets ma vie et celle de ma fille entre vos mains !
– Monsieur le comte, dit le chevalier, je crois que le temps de vos grandes douleurs est passé, et j’ai bon espoir pour l’avenir.
– Moi aussi, dit Kernan, vous êtes un digne jeune homme, monsieur Henry, et à nous cinq, il faudra bien que nous nous tirions d’affaire ; mais, dites-moi, notre arrivée dans le pays ne paraîtra-t-elle pas extraordinaire ?
– Non ! Locmaillé a dit à qui voulait l’entendre qu’il attendait, ses parents à Douarnenez.
– Bien, répondit le Breton ; mais ne peut-on trouver singulier cet accroissement de famille ?
– Non ; M. le comte de Chanteleine est mon oncle, et M lle Marie ma cousine.
– Votre sœur, monsieur Henry, dit la jeune fille, votre sœur ! N’ai-je pas à remplacer près de vous cette noble fille qui n’est plus ?
– Mademoiselle ! fit Henry avec l’accent de la plus vive émotion.
– Cela se peut ! cela se peut, répondit Kernan ; moi, je serai le cousin du bonhomme Locmaillé, si cela lui va.
– Trop honoré, fit le vieux pêcheur.
– Eh bien ! la famille sera complète, une famille de pêcheurs ; ce ne sera pas la première fois que notre maître et moi, nous ferons ce métier ; nous n’étions pas maladroits, dans notre jeunesse, et j’espère que nous n’aurons pas trop perdu.
– Eh bien ! fit le chevalier, dès demain nous courrons la baie de Douarnenez ! La barque est-elle en état, Locmaillé ?
– Toute parée, répondit le bonhomme.
– Mes amis, dit alors le comte, si nous devons rester dans ce pays, s’il nous faut y braver la tourmente révolutionnaire, si nous ne pouvons fuir plus loin de nos ennemis, j’approuve sans réserve vos arrangements ; mais devons-nous renoncer à l’espoir de passer à l’étranger ?
– Monsieur le comte, répondit Henry, si un pareil projet eût été
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