La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
repos fut paisible.
Kernan entretenait son feu de branches mortes ; ses compagnons, accroupis ou étendus, se réchauffaient de leur mieux ; quant à dormir, il n’en était pas question ; ni le comte, ni le chevalier ne pouvaient trouver le sommeil dans ces circonstances ; ils causèrent une partie de la nuit.
Le chevalier raconta au comte de Chanteleine l’histoire de sa famille, histoire douloureuse aussi. Les Trégolan, originaires de Saint-Pol-de-Léon, avaient presque tous péri dans les sanglantes batailles dont la ville fut le théâtre en mars 1793 ; M. de Trégolan le père tomba mitraillé par les canons du général Canclaux, quand celui-ci voulut faire rétablir le pont coupé par les insurgés de Kerguiduff, sur la route de Lesneven ; le jeune homme avait vainement essayé de se faire tuer auprès de son père ; les balles républicaines ne voulurent pas de lui, et quand il revint à Saint-Pol-de-Léon il trouva sa maison en flammes et sa sœur entraînée dans les prisons de Quimper. En prononçant le nom de sa sœur, Henry ne put retenir ses pleurs, et le comte le pressa dans ses bras.
Alors, à son tour, il lui raconta ses propres malheurs, le pillage de son château et la mort de la comtesse ; leurs histoires se réunissaient par le lien commun du malheur, et ils pouvaient mêler ensemble ces larmes que la République faisait couler.
La nuit se passa ainsi. Kernan veillait avec soin et battait parfois les taillis environnants. Mais heureusement le jour arriva, et les fugitifs purent quitter leur retraite.
Ces quelques heures de repos et de sommeil avaient ranimé la jeune fille ; elle se sentait assez forte pour marcher ; elle s’appuya au bras de son père, et la route fut reprise à huit heures du matin.
À neuf heures, Kernan, guidant ses compagnons, quitta la route d’Audierne au village de Plouaré ; une demi-heure plus tard, la petite troupe arrivait à l’entrée du bourg de Douarnenez, et le chevalier la conduisit directement à la maison du vieux pécheur.
X – DOUARNENEZ
Douarnenez, en l’an II de la République, ne comptait encore qu’une vingtaine de familles de pêcheurs ; la réunion de ces maisons, faites d’éclats de granit, offrait un pittoresque coup d’œil à qui arrivait par mer.
Le bourg, longtemps caché derrière les sinuosités de la côte, apparaissait tout à coup, dominé par le clocher solitaire d’une église située au sommet d’une colline.
Le bourg, étendu au fond même de la baie, venait baigner ses pieds dans les hautes vagues ; les toitures des maisons étaient recouvertes de grosses pierres, afin de résister aux vents violents du nord-ouest.
La côte de la Bretagne, depuis Concarneau jusqu’à Brest, est échancrée par une suite de baies de toutes grandeurs.
Les plus importantes sont celles de Douarnenez et de Brest, qui mesurent jusqu’à vingt-cinq lieues de tour ; les baies d’Audierne, des Trépassés, de Camaret, de Dinan ne forment que des anses, à proprement parler ; entre toutes, la baie de Douarnenez est la plus mauvaise, et de nombreux naufrages lui ont assuré une sinistre réputation.
Sa partie méridionale est formée par une langue de terre presque droite, une pyramide renversée de huit lieues de long, qui va s’enfoncer dans l’océan à la pointe du Raz.
Sa base a environ quatre lieues de largeur au méridien de Douarnenez ; là se rencontrent les paroisses du Poullan, de Benzec, de Cleden, d’Audierne, de Pont-Croix, de Plogoff et quelques villages épars.
La partie nord de la baie est faite d’une immense courbure de la côte, que vient terminer brusquement le cap de la Chèvre. Là se trouvent situées les magnifiques grottes de Morgat. Au-dessus on aperçoit les montagnes d’Aray, estompées par la brume.
La baie, n’étant pas suffisamment fermée, reste exposée à toutes les tempêtes du large.
Aussi la mer y est-elle toujours mauvaise ; les pêcheurs, aventurés dans leur chaloupe, s’y voient souvent en perdition, et, devant leur petit port de refuge, ils restent des journées entières sans pouvoir atterrir.
Le bourg est situé à l’embouchure d’une petite rivière qui est à sec à marée basse. C’est là que les bateaux de pêche vont se réfugier par les mauvais temps, car la jetée qui couvre actuellement le petit port n’existait pas alors, et les maisons du rivage étaient battues d’écharpe par les vagues.
L’extrémité de la petite rivière, du
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