La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
devaient avoir bien froid sous cette terre glacée, et plus encore ceux qu’une Municipalité indifférente venait de précipiter dans la fosse commune.
Kernan et le comte, après avoir parcouru quelques allées désertes, arrivèrent à cette fosse à peine comblée, et couverte d’extumescences irrégulières que la neige dessinait nettement. Les bêches et les pioches des fossoyeurs étaient là pour le travail du lendemain.
Au moment où il approchait, Kernan crut voir une forme humaine, courbée à terre, qui se relevait subitement et cherchait à se dérober derrière les noirs feuillages des cyprès. Il pensa d’abord que ses yeux subissaient une hallucination involontaire.
« Je me trompe, se dit-il, quelqu’un ici à cette heure ? ce n’est pas possible !… »
Cependant, en regardant attentivement, il vit la forme s’agiter sous les arbres ; en même temps il, remarqua des empreintes fraîches. Quelqu’un venait évidemment de s’enfuir.
Était-ce un fossoyeur qui faisait sa ronde, un gardien, un détrousseur de morts ?
Kernan arrêta le comte de la main ; il attendit quelques instants, et, l’individu n’ayant pas reparu, il marcha vers la fosse commune.
– C’est ici, notre maître ! dit-il.
Le comte s’agenouilla sur la terre glacée, ôta son chapeau et, tête nue, se mit à prier et à pleurer aussi ; ses larmes roulaient jusqu’à terre, et la neige fondait à leur brûlant contact.
Kernan, agenouillé de même, priait aussi, mais il observait et surveillait les environs.
Pauvre comte de Chanteleine ! Il eût voulu de ses mains écarter cette terre qui lui cachait son enfant, revoir une dernière fois ses traits chéris et donner une tombe plus décente à ses restes inanimés ! Ses mains se plongeaient dans la neige, et des soupirs à lui briser le cœur s’échappaient de sa poitrine.
Depuis un quart d’heure, il était ainsi ; Kernan n’osait interrompre sa douleur. Mais il craignait que les sanglots du comte ne fussent surpris par quelque espion aux aguets.
En ce moment, il crut entendre des pas ; il se retourna avec inquiétude ; il vit distinctement cette fois une forme humaine quitter le massif de cyprès et se diriger vers la fosse.
– Ah ! fit le Breton, si c’est un espion, il le payera cher !
Et, son couteau à la main, il se précipita vers un inconnu, qui ne parut pas vouloir l’éviter ; au contraire, celui-ci semblait attendre son agresseur de pied ferme. Bientôt, ces deux hommes furent à trois pas l’un de l’autre, dans l’attitude de la défense.
– Que venez-vous faire là ? demanda rudement le Breton.
L’inconnu, un jeune homme de trente ans, vêtu d’un costume de paysan, répondit d’une voix émue :
– Ce que vous êtes venu faire vous-même !
– Prier ?
– Prier !
– Ah ! dit Kernan, vous avez des parents ?…
– Oui ! répondit le jeune homme d’une voix triste.
Le Breton le regarda attentivement et vit des pleurs dans ses yeux.
– Excusez-moi, dit-il, je vous avais pris pour un espion. Venez donc.
Et, suivi de l’inconnu, il revint près du comte ; celui-ci, tiré de sa torpeur, allait se lever, quand le jeune homme lui fit signe de ne pas se déranger.
– Vous venez prier, monsieur ? dit le comte. Il y a place pour nous deux sur cette tombe ! Je suis un père qui pleure son enfant ! Ils l’ont tuée ce matin et ils l’ont mise là !
– Pauvre père ! fit le jeune homme.
– Mais qui êtes-vous ? fut Kernan.
– Le chevalier de Trégolan, répondit le jeune homme sans hésiter.
– Le chevalier de Trégolan ! s’écria Kernan.
Et il se mit sur ses gardes en reprenant toute sa défiance, car ce nom lui rappelait la scène du matin, et il ne comprenait pas ce que ce jeune homme eût à faire dans le cimetière.
– Oui ! avait répondu le chevalier.
– Vous qui ce matin avez obtenu la grâce de votre sœur et qui l’avez sauvée !
– Sauvée ! fit le jeune homme en joignant ses mains.
– Et c’est elle que vous venez pleurer ici ?
– Chevalier, dit le comte qui ne doutait pas, vous avez eu plus de bonheur que moi ! Je ne suis pas même arrivé assez tôt pour voir une dernière fois mon enfant !…
– Qui donc êtes-vous ? demanda vivement le jeune homme.
Kernan allait s’élancer vers son maître pour lui fermer la bouche et l’empêcher de livrer le secret de son nom, quand celui-ci dit gravement :
– Je suis le comte de
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