La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
praticable, croyez bien que je vous l’eusse déjà proposé ; mais moi-même, depuis longtemps, j’ai voulu fuir en Angleterre, sans en trouver le moyen ; tout ce que je puis vous promettre, c’est que, si l’occasion se présente, nous ne la manquerons pas, et peut-être, à prix d’or, pourrons-nous la faire naître.
– Malheureusement, il me reste peu de ressources.
– Et moi, je n’ai pour vivre que mes bras et mon bateau.
– Bon ! bon ! dit Kernan, nous verrons plus tard ! Mais actuellement, notre maître, fussiez-vous dix fois plus riche, et eussions-nous une bonne chaloupe à notre disposition, que je ne conseillerais à personne de s’y embarquer. Nous sommes dans les mauvais mois de l’hiver et la mer est terriblement dure en dehors de la baie. Les tempêtes nous rejetteraient bientôt sur quelque point de la côte, où nous pourrions nous trouver fort mal pris, et ma nièce Marie ne doit pas affronter un pareil danger. Dans les beaux jours, si Dieu n’a pas encore eu pitié de la France, on verra ce qu’il y aura à faire ; mais maintenant nous n’avons rien de mieux à imaginer que de pêcher, puisque nous sommes des pêcheurs, et de vivre tranquilles dans ce pays.
– Bien parlé, Kernan, dit le chevalier.
– Bien dit, mon bon Kernan, répondit le comte, sachons donc nous résigner, et, sans demander l’impossible, contentons-nous de ce que le Ciel nous donne.
– Mes amis, dit alors la jeune fille, si mon oncle Kernan a parlé, nous devons l’écouter ; car il est de bon conseil ; il sait bien que je n’aurais pas reculé devant les dangers de la mer ; mais, puisqu’une traversée lui paraît impraticable, il faut nous regarder comme arrivés au port et attendre, nous ne sommes pas riches, eh bien ! nous travaillerons, et pour mon compte, je veux apporter mon faible contingent à la communauté.
– Oh ! mademoiselle, fit vivement le jeune homme, c’est un dur métier que le nôtre ; vous n’avez pas été élevée comme les femmes et les filles de nos pêcheurs ; nous ne pouvons pas vous exposer à de pareilles fatigues. D’ailleurs, nous vous gagnerons votre pain de chaque jour.
– Pourquoi, monsieur Henry, répondit la jeune fille, si je puis me procurer un travail qui ne dépasse pas la mesure de mes forces ? ce sera un plaisir et une consolation pour moi. Ne puis-je au besoin coudre ou repasser ?
– Comment donc, s’écria Kernan, mais ma nièce Marie travaille comme une fée, et je lui ai vu broder des devants d’autel pour l’église de la Palud, dont sainte Anne devait être fière !
– Hélas ! mon oncle Kernan, répondit Marie avec tristesse, il n’est plus question maintenant de devants d’autel ou d’ornements d’église ! Mais il est d’autres ouvrages plus humbles, plus lucratifs !…
– Ma foi, j’en vois peu, fit Henry, qui ne voulait pas que la jeune fille s’occupât d’un travail manuel ; je vous assure que vous ne trouverez rien à faire dans le pays.
– À moins de coudre des grosses chemises pour les pêcheurs. ou les Bleus de Quimper, dit Locmaillé.
– Oh !
– J’accepte volontiers, s’écria Marie.
– Mademoiselle ! fit le chevalier.
– Et pourquoi pas ? dit Kernan, je vous assure que ma nièce s’en tirera à merveille.
– Oui, fit le bonhomme, mais à cinq sols la pièce !
– C’est très beau, cinq sols la pièce, s’écria Kernan ; ainsi, ma nièce Marie, tu seras lingère !
– C’était le métier de M lles de Sapinaud et de La Lézardière après leur fuite du Mans, répondit la jeune fille, et je puis bien faire comme elles.
– Convenu. Locmaillé te trouvera de l’ouvrage.
– C’est entendu.
– Et maintenant, Marie, maintenant, notre maître, reposez-vous pendant le reste de la journée ; je vais aller visiter la chaloupe avec M. Henry, et demain, nous nous mettrons en mer.
Cela dit, Henry et Kernan sortirent ; Locmaillé alla courir le village, et la jeune fille, restée avec son père, se mit à ranger le petit ménage de la maison.
Le chevalier et Kernan, arrivés à la pointe du Guet, trouvèrent l’embarcation en parfait état ; elle portait deux hautes voiles rouges et était faite pour tenir la mer par les gros temps.
Là, quelques pêcheurs, en train de raccommoder leurs filets, vinrent causer « pour causer », et Kernan répondit à leurs questions en marin fini ; il donna son avis sur un petit nuage noir qui ne présageait
Weitere Kostenlose Bücher