La Cour des miracles
oh ! Lanthenay surtout, Lanthenay qui non seulement avait insulté la majesté royale, mais encore avait porté la main sur un saint !…
Le supplice de ces deux hommes était, il n’en doutait pas, le prix de la paix enfin accordée à son cœur.
Pour Manfred, la pendaison suffirait. Peut-être irait-il jusqu’à l’estrapade, mais ce serait tout.
Mais quant à Lanthenay, il ne fallait rien moins que le bûcher. En effet, le feu purifie : Loyola le lui avait formellement affirmé.
Pendant que Monclar réfléchissait ainsi, et voyait déjà se dresser dans son imagination la flamme du bûcher qui monte haute et clair dans le ciel tandis que les foules épouvantées roulent autour du poteau de supplice, les capitaines de compagnie avaient pris position dans la ruelle Saint-Sauveur, la ruelle Montorgueil et la ruelle aux Piètres. Ces mouvements s’étaient accomplis dans le plus profond silence.
Le grand prévôt arrivé sur le champ de bataille ne songea plus qu’à assurer la victoire du roi et la destruction des truands.
Il visita successivement chacune des trois rues, s’assura que chacun avait bien compris ses instructions, et alla se poster lui-même dans la rue Saint-Sauveur.
Au signal de Tricot – trois coups d’arquebuse tirés à minuit – les trois troupes devaient entrer ensemble sur le terrain de la Cour des Miracles et l’opération que nous avons décrite ; plus haut devait commencer aussitôt.
Dès lors, il n’y eut plus qu’à attendre.
Les douze coups de minuit tintèrent gravement à Saint-Eustache…
Quelques minutes encore…
Puis, tout à coup, un coup d’arquebuse éclata dans le silence.
Un deuxième… un troisième… Monclar les compta.
– En avant ! dit-il alors au capitaine de la compagnie qui se trouvait près de lui.
La masse des arquebusiers s’ébranla.
Certain que cette barricade n’était gardée que par quelques hommes qui étaient de connivence avec Tricot, Monclar, arrêté au milieu de la rue, regardait tranquillement défiler les soldats.
Les arquebusiers n’étaient plus qu’à dix pas de l’obstacle.
A ce moment, une voix rude jeta un ordre bref.
La barricade parut s’enflammer comme un cratère éteint qui se mettrait soudain à cracher des laves incandescentes, et une formidable détonation ébranla les masures de la rue, faisant voler en éclats les vitraux des fenêtres fermées.
Dépeindre l’effarement, la stupeur et l’épouvante de la compagnie d’arquebusiers serait difficile. Plus de quarante morts ou blessés étaient tombés, parmi des hurlements et des imprécations. Au nombre des morts était le capitaine qui marchait en tête.
Les survivants reculèrent en désordre, entrechoquant leurs armes, se culbutant les uns les autres.
Monclar, un moment stupide d’étonnement, entendit au loin deux autres détonations sourdes ; c’étaient les truands de la ruelle aux Piètres et de la ruelle Montorgueil qui venaient de faire feu comme ceux de la ruelle Saint-Sauveur.
En toute hâte, il appela auprès de lui quelques-uns des seigneurs qui étaient venus, par distraction, assister au grand massacre de la Cour des Miracles.
Ensemble, ils barrèrent la rue et arrêtèrent les fuyards.
– En avant ! rugit Monclar. Si vous ne prenez pas la barricade d’assaut, vous allez vous faire tuer jusqu’au dernier dans ce boyau…
Ce raisonnement était le seul qui pût rendre courage aux arquebusiers.
Ils se retournèrent vers la barricade, mais au lieu d’y aller en rangs serrés comme la première fois, ils se disséminèrent en rasant les murs.
Ils étaient quatre cents environ.
Au pas de course, ils foncèrent sur la barricade.
Une deuxième détonation retentit, et des hommes tombèrent pour ne plus se relever.
– En avant ! hurla Monclar.
Les arquebusiers, en quelques secondes, furent sur la barricade, avec une grande clameur.
Mais alors, sur cette barricade, se dressèrent une foule de démons armés de lances, de hallebardes, de tronçons d’épées, de vieux estramaçons, et même de lardoires, de toutes sortes de coutelas bizarres.
Des plaintes, des cris de rage, des jurons en toutes les langues, des coups de pistolet et d’arquebuse, voilà ce qu’on entendit pendant près de vingt minutes.
Cependant les soldats du roi reculaient peu à peu.
Monclar, entouré de seigneurs, avait gardé son épée au fourreau, tandis que ceux qui l’entouraient s’escrimaient à outrance.
Le grand prévôt se
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