La Cour des miracles
déception était si amère que cela lui arrachait des larmes.
– Allons, venez, mon enfant… ce n’est pas là votre place.
Gillette leva les yeux et reconnut la duchesse d’Etampes. En même temps, elle vit qu’un certain nombre de gentilshommes s’étaient approchés et la regardaient avec étonnement. Le roi n’était pas parmi eux.
– Voici le chirurgien ! dit l’un des assistants.
Gillette se releva, laissant la place au chirurgien.
Une pitié émue, une pitié profonde lui venait pour cette pauvre femme qui l’avait appelée « sa fille ».
– Il faut transporter la blessée, nasilla doctoralement le chirurgien. Quelqu’un sait-il où elle habite ?
– Elle habite au château, dans mon appartement ! dit Gillette.
Ces paroles lui échappaient pour ainsi dire malgré elle ; elle les prononça avec impétuosité et, dès lors, il lui sembla qu’elle avait un énorme intérêt à faire transporter Margentine chez elle ; l’instant d’avant, elle n’eût pas compris cet intérêt.
Cependant, des soldats avaient apporté un brancard sur lequel on déposa Margentine.
– Que décidez-vous, madame ? demanda le chirurgien à la duchesse d’Etampes.
– Obéissez à M lle de Fontainebleau, dit Anne avec un sourire.
Quelques minutes plus tard, Margentine reposait sur le lit de Gillette.
Le roi, sans attendre la fin de cet incident, s’était retiré dans son appartement. Il était furieux, et une fois qu’il fût seul, sa rage put se donner libre cours.
– Elle me le payera cher ! grondait-il par moments.
La menace allait à la duchesse d’Etampes.
Tout à coup, il s’assit à sa table, saisit une plume et écrivit :
« Ordre à la dame Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes, de se retirer, dès les présentes reçues, dans ses terres, d’où elle ne pourra sortir sans notre congé et d’où elle ne reviendra que lorsqu’il nous plaira de l’appeler à notre cour. »
Il signa et appela Bassignac.
Le valet de chambre apparut.
– Fais-moi venir mon capitaine des gardes, dit le roi.
– M. de Montgomery est justement dans l’antichambre, sire ; mais Votre Majesté veut-elle recevoir M me la duchesse d’Etampes ?
Le roi tressaillit.
– Elle ! fit-il rageusement. Qu’elle aille au diable ! Ou plutôt, non, fais-la entrer…
Un instant plus tard, la duchesse entra, souriante.
En même temps qu’elle, entrait Montgomery, mandé par François I er .
Celui-ci tendit au capitaine le parchemin sur lequel il venait d’apposer son sceau.
– Montgomery, dit-il, lisez ce papier et chargez-vous d’en assurer l’exécution.
L’officier parcourut le parchemin d’un regard.
– Est-ce tout de suite, sire ? demanda-t-il.
– Tout à l’heure, répondit le roi, calmé par l’exécution qu’il venait de faire. Allez, et attendez le moment dans les antichambres.
Montgomery comprit, salua et sortit.
Anne avait jeté un coup d’œil perçant sur le parchemin. Et si elle ne parvint pas à le lire, du moins l’attitude du roi et le regard surpris de Montgomery lui laissèrent entrevoir la vérité.
Elle s’approcha du roi, et posant la main sur son bras :
– Vous m’en voulez donc bien, François ?
– Madame, dit froidement le roi, vous avez voulu me parler. J’ai consenti à vous donner audience… Mais hâtez-vous…
– Hâtez-vous ! s’écria la duchesse, car Montgomery attend avec impatience, n’est-ce pas, sire ? Est-ce pour me jeter en quelque oubliette ? Est-ce pour me conduire en exil ? Parlez donc, sire ! Parlez haut, comme je parle, afin qu’on sache bien qu’à la cour de France, le dévouement est à la merci d’un caprice royal, et que tel qui risque sa vie pour le roi sera peut-être demain proscrit ou exécuté !… Ah ! François ! Est-ce donc là le prix de ma fidèle et constante amitié ? Que me reprochez-vous ? De n’être plus belle, peut-être ! C’est là un grand malheur, en effet ; mais tout de même j’avais le droit d’espérer que mon affection, je n’ose plus dire mon amour, serait un jour récompensée autrement que par l’entremise d’un Montgomery ! Et cela à l’instant même où je venais rendre à mon roi un service… un nouveau service, sire !
Elle lança ces dernières paroles au roi comme une amorce, et feignit aussitôt une prompte retraite, – stratégie d’ailleurs commune à toutes les femmes.
– Adieu, sire, dit-elle d’une voix brisée comme si elle
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