La Cour des miracles
tu le crois.
– Que dites-vous, mère ! s’écria Gillette en pâlissant.
Margentine lui prit les deux mains.
– Ecoute, mon enfant, dit-elle… L’heure de te désoler est passée ; le moment est venu d’espérer… Que dirais-tu si je t’affirmais que Manfred est à Fontainebleau.
– Oh ! est-ce possible ?
– Que diras-tu si, étant entré dans le parc, il venait te chercher ?…
– Quand ? Oh ! dites-moi quand ?…
– Ce soir, ma fille, ce soir ! Dans deux heures, peut-être avant, il frappera à cette porte…
A ce moment un heurt se fit entendre à la porte. Gillette poussa un cri déchirant, bondit à la porte, tira violemment le verrou que Margentine avait poussé.
– C’est lui ! c’est lui ! cria-t-elle avant que Margentine eût pu faire un geste pour l’arrêter.
La porte ouverte, deux hommes entrèrent.
Gillette recula, cette fois avec un cri d’horreur.
Le premier de ces deux hommes, c’était le roi !…
Margentine, avec une sorte de hurlement sauvage, s’était jetée sur François I er .
Mais au moment où elle allait l’atteindre, elle sentit à sa tête un coup violent ; il lui sembla que le sol s’effondrait, et elle tomba à la renverse, évanouie, perdant le sang par la blessure que Sansac venait de lui faire en lui assénant un terrible coup sur la nuque.
– Mère ! à moi, mère !…
Gillette voulut crier encore, voulut se débattre…
Mais un bâillon étouffa sa voix, et deux bras vigoureux la saisirent, la réduisirent à l’impuissance, l’emportèrent…
Madeleine Ferron était sortie pour inspecter les environs.
Elle s’écarta assez loin, sonda les bouquets d’arbres, examina les coins sombres, tout cela, dans la direction de la petite porte, – c’est-à-dire dans une direction presque opposée à celle du château.
– Tout va bien, murmura-t-elle enfin ; la rencontre de la nuit dernière n’est qu’un accident ; on ne se méfie de rien ; dans deux heures, Gillette sera sauve, et le roi François m’appartient dès lors… Un peu de patience, Majesté, nous mourrons ensemble !
Convaincue que tout était paisible et que rien n’empêcherait la fuite préparée, Madeleine revint au pavillon.
Elle vit la porte ouverte.
– Un malheur est arrivé ! se dit-elle.
En deux bonds, elle fut à l’intérieur et vit Margentine évanouie, étendue à terre. Gillette avait disparu.
Un terrible blasphème monta aux lèvres de Madeleine. En toute hâte, elle se mit à bassiner d’eau fraîche les tempes de Margentine.
– Ma fille ! put-elle murmurer.
– Que s’est-il passé ? interrogea Madeleine.
– Le roi ! répondit Margentine.
– Il l’a enlevée ?
– Oui !
Devant cette catastrophe imprévue, Madeleine Ferron garda cet étrange sang-froid qu’elle avait en toutes circonstances depuis la nuit tragique où son mari l’avait entraînée au gibet de Montfaucon.
Elle se releva lentement et calcula :
– Il est neuf heures et demie. Ils doivent venir à onze. Mais il faut compter avec l’impatience de l’amour et de l’affection paternelle réunies en Manfred et en Fleurial. Dans une demi-heure, ils seront au rendez-vous…
Tout en monologuant ainsi, elle préparait une compresse composée de vin sucré et d’huile.
Elle l’appliqua sur la blessure et posa un bandage avec une adresse qu’un chirurgien eût admirée.
Cette fois, Margentine revint tout à fait à la vie.
– Ce ne sera rien, dit Madeleine… Eh bien ! où courez-vous ? ajouta-t-elle en se plaçant devant la pauvre mère qui se jetait vers la porte.
– Laissez-moi passer ! gronda Margentine.
– Jamais ! Vous vous feriez tuer inutilement.
– Laissez-moi passer, ou c’est vous que je vais tuer !
– Me tuer ! s’écria Madeleine. Ah ! vous ne savez pas le service que vous me rendriez-là ! Mais il ne s’agit pas de moi. Je vous empêche de faire une folie qui vous perdrait, vous et votre fille… Voulez-vous perdre Gillette ? Qu’allez-vous faire ? Vous heurter à des hommes armés qui vous saisiront et vous jetteront dans un cachot… Et vous aurez donné l’éveil au ravisseur ; vous aurez hâté la perte de votre enfant… Voulez-vous m’écouter ? Voulez-vous sauver Gillette ?
Ces paroles prononcées avec force firent impression sur l’esprit de Margentine.
– Ecoutez-moi, dit-elle en revenant à Margentine, avez-vous confiance en moi ?
– Oui ! car j’ai compris la haine
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