La Cour des miracles
que vous avez au cœur, et j’ai compris aussi que pour satisfaire cette haine, vous devez sauver mon enfant.
– Vous avez raison, dit froidement Madeleine. Ma haine contre François vous répond du zèle que je mettrai à sauver votre fille, et je n’ai pas besoin d’invoquer l’affection qu’elle commençait à m’inspirer…
– Pardonnez-moi ! dit Margentine en se jetant dans les bras de Madeleine, la douleur me rend injuste. Parlez.
– Il est temps que je me sépare de vous, murmura Madeleine, car vous auriez fini, à vous deux, par me réconcilier avec la vie… et il eût été trop tard… N’en parlons plus… Vous savez que le rendez-vous avec Manfred est pour onze heures… Vous sentez-vous la force de marcher jusqu’à la petite porte ?
– Jusqu’à Paris, s’il le faut !
– Nous allons sortir toutes les deux et nous rendre au point de rendez-vous. Je me charge d’ouvrir la porte dérobée. Vous sortirez…
– Pendant que ma fille… oh ! jamais !
– C’est donc que vous voulez tout compromettre ? Je vais introduire cinq hommes braves, énergiques, bien armés. Votre présence, pauvre femme nerveuse, blessée, qu’il faudrait protéger, serait un gros obstacle…
– C’est vrai ! fit Margentine en se tordant les mains.
– Attendez-moi ici, dit Madeleine, qui s’élança vers sa chambre.
Quelques minutes plus tard, Margentine la vit reparaître vêtue en cavalier.
Elle portait à la ceinture, outre une épée, une dague, – arme redoutable dans ses mains.
C’était la dague que lui avait donnée François I er .
C’était avec cette arme qu’elle avait poignardé Ferron, puis, plus tard, Jean le Piètre.
– Je vous disais que j’allais introduire cinq hommes bien armés dans le parc, dit-elle en souriant ; avec moi, cela fera six. Or, que ne peuvent pas six hommes déterminés, prêts à mourir ! Si vous saviez la force que cela donne, d’être prêt à mourir ! Suivez-moi. Votre blessure ?
– Je ne la sens pas !
Madeleine sortit, suivie de Margentine.
Elle prit aussitôt le chemin de la petite porte dérobée.
Elle tenait son poignard à la main.
Dix heures venaient de sonner lorsqu’elle arriva à ce bouquet d’arbres d’où, la nuit précédente, elle avait examiné les allées et venues de la sentinelle.
– Ne bougez pas d’ici ! souffla-t-elle à Margentine.
Alors Madeleine marcha droit à la sentinelle, non seulement sans prendre de précaution pour ne pas être vue, mais en exagérant le bruit de ses pas.
– Halte-là ! cria le soldat.
– Officier ! répondit Madeleine, comme elle avait répondu la veille.
Et elle continua à marcher sur la sentinelle qui, la prenant en effet pour un jeune officier chargé de lui transmettre quelque consigne, la laissa s’approcher.
Mais comme elle arrivait sur lui, il eut sans doute des doutes, car il essaya de croiser sa hallebarde.
– Mon ami, dit Madeleine en écartant d’un geste la lance de l’arme, que diriez-vous si je vous proposais mille livres…
– Je dirais que c’est sans doute pour trahir ma consigne. Passez au large, mon officier…
– Je vous propose mille livres pour vous taire pendant une heure, quoi qu’il arrive.
– Au large ! répondit le soldat. Ou je vous arrête, tout officier que vous êtes !
– Je voulais employer un autre moyen, gronda Madeleine, mais puisque tu le veux… tiens !
Elle avait bondi sur le soldat et, avant que celui-ci eût pu faire un geste ou pousser un cri, lui avait enfoncé son poignard dans la gorge.
Le soldat tomba lourdement.
– Tant pis ! murmura Madeleine un peu pâle… Au reste, il en reviendra peut-être !
Et elle se dirigea vers la porte.
A ce moment, au loin, elle entrevit une lumière qui se balançait et s’avançait vers elle.
En même temps, le cri de veille retentit.
– Si le cri de veille n’est pas répété ici, songea Madeleine avec angoisse, tout est perdu ! Et là-bas… c’est une ronde qui vient ! Si cette ronde ne trouve pas de sentinelle devant la porte…
Quelques secondes se passèrent…
Le cri fut jeté par le factionnaire le plus rapproché de la porte, c’est-à-dire à deux cents pas sur la gauche.
Madeleine n’hésita pas… Elle se tourna vers la sentinelle de droite, invisible dans l’ombre, et cria :
– Sentinelle, garde à vous !
L’instant d’après, elle entendit le soldat répéter le cri qui alla s’éloignant et s’affaiblissant,
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