La Cour des miracles
de Monclar, pleurez comme j’ai pleuré… Le voilà, votre fils ! Cet homme enchaîné dans un cachot – enchaîné par vous ! – cet homme qu’on va pendre – que vous allez pendre ! – c’est votre fils ! Ah ! ah ! je vous ai supplié de pardonner, je me suis traînée à vos pieds… Impitoyable ! C’est juste… c’est très bien… c’est admirable !
Puis elle continua :
– Voyons, voyons… il a dit après-demain matin, à la Croix-du-Trahoir ! Pourvu qu’il n’ait pas menti ! Cela m’est égal après tout. Dès demain matin, je m’installe devant la porte de Monclar et je n’en bouge plus ! Je serai là au bon moment… Que signifierait cette fête sans moi ! J’y serai, n’en doutez pas, Monsieur de Monclar !
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Chapitre 15 LE COMTE DE MONCLAR
L e grand prévôt fut sur pied de bonne heure, selon son habitude.
Il s’employa donc, dès son lever, à ses occupations ordinaires, c’est-à-dire qu’il reçut les rapports de ses agents, donna des ordres, dicta des lettres.
Vers neuf heures du matin, il reçut la visite du bourreau.
– Demain, à huit heures du matin, à la Croix-du-Trahoir, vous pendrez par le col le truand Lanthenay, détenu dans les cachots de mon hôtel… Allez !
Le bourreau s’inclina et sortit sans mot dire.
Alors, le grand prévôt regarda autour de lui. Il était seul. Un sombre ennui le dévorait de mélancolie. Il se leva, fit quelques pas, et s’approcha d’une fenêtre qui donnait sur la rue. Sur un vitrail, il appuya son front fiévreux.
– Cet homme va mourir, murmura-t-il. Je n’éprouve même plus de joie à la pensée de tuer un de ceux qui m’ont tué mon enfant… et elle ! Jadis, lorsque je pouvais faire pendre un de ces truands, une de ces Egyptiennes maudites, je ressentais une sorte d’affreux plaisir qui me déchirait et me délectait…
Maintenant, cette ressource m’échappe…
Et comme il n’arrivait pas à rafraîchir son front, il entr’ouvrit la fenêtre.
De l’autre côté de la rue, une femme, sous un auvent, causait avec un homme.
Monclar les reconnut tous les deux :
– La Gypsie ! Que fait-elle ici ? Et pourquoi parle-t-elle au bourreau ?
– A-t-elle essayé de corrompre le bourreau ? songea-t-il… Mais cet homme est incorruptible presque autant que moi-même. Il est de pierre. Rien ne le toucherait. Je lui aurais tout à l’heure donné l’ordre de pendre son frère, s’il en a un, qu’il se serait incliné avec la même indifférence, et demain, il aurait pendu son frère… Que fait là cette femme ? Qu’attend-elle ?
Cette insistance de la bohémienne le frappait. Il n’était pas éloigné de penser qu’elle avait un secret motif de haine contre Lanthenay.
– Mais alors, pourquoi est-elle venue me demander sa grâce ?
Dans le cabinet du grand prévôt, il y avait un crucifix suspendu à l’un des panneaux : un grand crucifix sur lequel un Christ d’argent massif penchait sa tête couronnée d’épines.
Au pied du crucifix, il y avait un prie-Dieu.
Monclar s’y jeta à genoux, enfouit son visage dans ses deux mains et pria.
On gratta à la porte. Monclar n’entendit pas.
– Dieu puissant ! murmurait-il, Dieu juste, Dieu bon, n’ai-je pas assez prié, n’ai-je pas assez souffert ?
La porte s’ouvrit. Loyola parut. Le moine, d’un geste, renvoya le laquais qui venait de lui ouvrir, puis referma doucement la porte et s’approcha de l’homme agenouillé.
– Seigneur ! Seigneur ! disait Monclar, n’aurez-vous donc pas pitié de moi ? Oh ! si je pouvais oublier ! Pourtant, Seigneur, j’ai tout fait pour vous être agréable… J’ai poursuivi d’une haine sans miséricorde les blasphémateurs et les hérétiques… J’ai été jusqu’à aliéner ma liberté et ma pensée en holocauste… Je ne suis plus que l’humble serviteur de la compagnie de Jésus… et pourtant, je ne retrouve pas la paix !
– Parce que vous ne croyez pas avec assez de ferveur ! dit durement Loyola.
D’un bond, le grand prévôt fut debout, les sourcils froncés… Il reconnut Loyola.
– Vous, mon père ! s’écria-t-il.
– Oui, mon fils. J’ai forcé vos gens à m’ouvrir cette porte ; la vérité m’oblige à confesser que j’ai dû employer la menace…
– Mon père, pour avoir introduit, fût-ce le roi, sans mon ordre, je les chasserais ; mais pour vous, mon père… attendez…
Il frappa. L’huissier et le laquais d’antichambre
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