La Cour des miracles
apparurent tremblants. Monclar leur jeta une bourse.
– Voici pour avoir obéi au révérend père qui me fait l’insigne honneur de me visiter ; quelque ordre qu’il donne, il est ici le maître ; entendez-vous !
Les deux valets se courbèrent, jetant sur Loyola un regard de crainte et d’admiration ; puis ils se retirèrent.
Loyola ne remercia pas le grand prévôt.
Il s’assit, tandis que le comte de Monclar demeurait debout, comme il eût fait devant le roi.
– Je vous disais donc, mon fils, que Dieu jusqu’ici n’a pas entendu vos prières, parce que vous manquez de foi… Jésus veut le sacrifice absolu, de notre chair et de notre pensée. Or, que lui offrez-vous ? Votre pensée va tout entière à ceux qu’autrefois vous avez chéris… Ce sont des affections humaines qui n’ont rien à voir avec l’amour de Jésus. Vous pleurez, mon fils, mais ce n’est pas sur l’iniquité des hommes qui blasphèment le nom du sacré cœur… Ce qui est en vous, c’est une douleur qui ne saurait être agréable à Dieu… Il faut vous donner tout entier. Jésus n’admet pas le partage. Il faut, dis-je, arracher de votre cœur toute pensée qui n’est pas à la gloire de la Société dont vous avez maintenant le bonheur d’être…
– J’y tâche, mon père… mais j’y tâche vainement.
– Rassurez-vous, la foi viendra, et avec la foi, la force ! Alors vous serez invincible. Alors, comme moi, vous détournerez votre âme de toute affection, de toute douleur, de toute joie, de toute émotion humaine… Alors, comme moi, vous jetterez sur ce pays de blasphème un regard de colère, et vous ne songerez qu’à venger Jésus… A propos… cet homme qui m’a frappé…
– Il est dans mes cachots, mon père ; demain, au point du jour, il expiera son crime.
– Il le faut ! Quiconque frappe un soldat de Jésus doit périr. Ainsi donc, rien ne peut sauver cet homme ?
– Rien, mon père… rien au monde !
– Je venais m’assurer de ce point important. Je venais aussi, mon fils, vous apporter mes félicitations. Vous serez une des colonnes les plus solides de notre ordre. Grâce à vous, l’impie qui corrompait ce pays a vécu… Demain, mon fils, je quitterai la France… N’oubliez pas que vous avez une mission de la plus haute importance… Je vais essayer de trouver dans les autres pays de l’Europe d’autres serviteurs de Dieu aussi fidèles que vous… mais j’en doute… Enfin, si déjà, par vous, nous tenons le roi de France, c’est déjà essentiel, car la France, mon fils, est notre pays d’élection. C’est ce pays que nous voulons conquérir…
– Je vous fais donc mes adieux, vénéré père…
– Non… pas encore, mon fils. Je veux, avant de partir, assister au supplice de ce misérable que vous avez si heureusement capturé. C’est une légère satisfaction que je m’accorde… un peu de repos dans ma vie de lutte sans trêves… Je tâcherai de voir cet homme avant qu’il n’aille au gibet. Peut-être pourrai-je en obtenir des renseignements précieux sur certains de ses compagnons.
Loyola se leva.
– A demain matin, en ce cas, mon père. Le supplice aura lieu à la Croix-du-Trahoir, à huit heures du matin.
Loyola fit un geste d’adieu et se retira, escorté jusqu’à la porte de l’hôtel par le grand prévôt.
Au moment où cette porte se refermait, Monclar constata que la Gypsie était toujours à la même place.
Et la même question, à nouveau, se posa dans son esprit :
– Que fait là cette femme ? Quelle secrète pensée la guide ? Ah çà ! Qu’est-ce que cela peut me faire, après tout ? Cette bohémienne veut absolument assister au supplice de ce truand… Pourquoi ? Peu m’importe… N’y pensons plus.
Plus la journée avançait, plus cela lui pesait de savoir que la Gypsie était là, immobile, les yeux fixés sur la porte de son hôtel. De temps à autre, il allait à la fenêtre pour voir si elle n’était point partie.
Il la voyait toujours à la même place.
Il eût pu la faire chasser.
Pour ne pas recourir à ce moyen, il se donna comme prétexte qu’en somme cette pauvre vieille lui avait sauvé la vie. Quel mal faisait-elle, d’ailleurs ?
Dans l’obscurité, Monclar cessa de la voir… mais il eut la perception nette qu’elle était toujours là…
Monclar s’installa comme pour passer la nuit à travailler. Cela lui arrivait souvent.
Et il se retrouva plusieurs heures après, n’ayant
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