La Cour des miracles
qui prend le nom de ma fille !
Margentine médita un instant si elle ne punirait pas le jeune homme de se prêter à l’intrigue qu’elle supposait ourdie contre elle et sa fille.
Mais elle se rappela alors la visite de la Gypsie.
Or, la bohémienne lui avait dit :
– C’est lui qui te fera retrouver ta fille !…
Dès lors, Margentine ne douta plus que le blessé ne fût vivement intéressé à retrouver Gillette.
Après les premières heures de fièvre, Manfred était tombé dans un lourd sommeil ; il ne parlait plus ; si bien que Margentine, accablée de fatigue, finit par s’endormir elle-même sur son escabeau.
Vers les deux heures de l’après-midi, Manfred s’éveilla. Il jeta autour de lui ce regard étonné qui suit les crises de fièvre ; il se souvint vaguement qu’il avait déjà entrevu ce qu’il voyait dans un moment de lucidité. Près de lui, il aperçut Margentine endormie.
– La folle ! murmura-t-il.
Il voulut faire un mouvement comme pour se lever, la violente douleur qu’il ressentit au bras lui rappela alors tout ce qu’il venait de passer.
Comme dans une vision enflammée, il se revit près du pont Saint-Michel, attendant avec Lanthenay l’arrivée du cortège d’Etienne Dolet.
La pensée du violent désespoir qui devait accabler Lanthenay lui vint alors.
Qu’était devenu son ami ? Etait-il tombé dans la ruelle, parmi les truands ? Vivait-il encore ?
Et en ce cas, quelle devait être sa tristesse !… Manfred imaginait son ami errant autour du bûcher éteint, n’osant s’arracher à l’horrible spectacle… puis il le voyait revenir à la Cour des Miracles, et il se représentait la scène déchirante : Lanthenay apprenant à Julie et à Avette que le supplice de Dolet était consommé !…
Alors, l’enchaînement des idées conduisit Manfred à se dire qu’il n’avait plus rien à faire à Paris. Il était venu pour aider Lanthenay à sauver Dolet… La fortune les avait trahis… Dolet était mort sur le bûcher.
Manfred éprouvait une insurmontable horreur à la pensée de demeurer plus longtemps dans la ville qui avait vu s’accomplir une pareille abomination.
Son plan fut vite fait : il irait trouver Lanthenay et l’arracherait à sa douleur.
Il l’emmènerait avec Avette, avec Julie.
Dès lors, son imagination le transporta à Fontainebleau.
Que se passait-il là-bas ? Le coup de main préparé par le vieux Fleurial avait-il réussi ?
Une terrible angoisse l’étreignit, et l’idée de rester enfermé dans ce taudis, immobile, impuissant, lui devint insupportable. Il rassembla toutes ses forces et parvint à se lever et à s’habiller.
Une fois debout, il s’aperçut qu’à part la cuisante douleur de son bras, il n’avait d’autre mal qu’une certaine faiblesse provoquée par la perte de sang.
Il regarda autour de lui pour voir s’il n’apercevait pas quelque flacon de cordial ou de vin.
Margentine dormait profondément.
– Pauvre femme ! murmura-t-il en contemplant un instant les traits tirés de la folle.
Et comme il ne trouvait pas ce qu’il cherchait, il aperçut dans une encoignure un trou, une sorte de petite armoire pratiquée dans le mur.
– Là, peut-être… pensa-t-il.
Il alla doucement à l’armoire et y plongea la main.
Cette main rencontra et froissa un papier.
Manfred saisit le papier et le considéra distraitement.
Tout à coup il tressaillit. Ce papier, parchemin plié et scellé en forme de lettre, portait une suscription.
Et cette suscription, c’était :
–
Pour Manfred.
De quel Manfred s’agissait-il ? Lui, peut-être !
Manfred se décida alors à réveiller Margentine, qu’il toucha légèrement au bras.
La folle poussa un cri de surprise, puis se mit à rire.
– Te voilà donc guéri ? dit-elle.
– Oui, ma bonne Margentine. Mais, dis-moi, cette lettre ?…
– C’est pour toi.
– Qui te l’a remise ?
– La Gypsie, donc ! Elle m’a dit : « Tu lui donneras la lettre quand il sera guéri, dans huit jours, mais pas avant. »
– Ah ! Elle t’a dit cela, la Gypsie ?… Oui, mais je suis guéri.
Dès les premiers mots il pâlit et rougit coup sur coup, et Margentine remarqua que ses mains tremblaient.
Voici cette curieuse lettre que nous reproduisons tout entière, même en certains détails qui ne sont pas absolument utiles à notre récit.
Lettre de la Gypsie à Manfred
Maintenant que la chose ne peut plus me nuire, je vais te
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