La Cour des miracles
douze, au mois d’avril, à Montfaucon même. Qu’est-ce qu’il avait fait, ce bon Gaspard ? Je ne sais plus, au fait ! Toujours est-il que par un joli matin d’avril, je le pendis bel et bien par le col. Or, qu’arriva-t-il ?… Il arriva que plus de huit minutes après la pendaison, comme je m’apprêtais à m’en aller, l’esprit en repos, un de mes valets – à telles enseignes que ce fut Nicolas Bigot – donc, Nicolas Bigot me saisit tout à coup par le bras et s’écria, blême d’épouvante, et les dents entre-choquées : « Maître, regardez donc Gaspard le Flamand ! » Je regardai le pendu, et vis qu’il avait les yeux grands ouverts, non pas par dilatation d’agonie, mais tranquillement et pleins de vie… et ces yeux-là me regardaient d’un air narquois… Quand il vit que je le fixais, le drôle s’empressa de les fermer… Je m’approchai et lui dit : « Ohé ! Tu n’es donc pas trépassé ? », question à laquelle il ne répondit rien, d’ailleurs… Je montai à l’échelle, et m’aperçus alors que le nœud n’avait pas glissé jusqu’au cou, et que le bon Gaspard demeurait suspendu dans le vide sans autre gêne que de ne pouvoir ouvrir la bouche, puisque la corde le maintenait par-dessous le maxillaire… La chose me surprit tellement que je pris sur moi de dépendre le pauvre diable et de lui donner la clef des champs…
Le bourreau ajouta alors :
– Ce qui est arrivé à Gaspard le Flamand par hasard ne peut-il arriver à un autre par ma volonté ?
Alors il se livra à un singulier travail.
Au-dessus du squelette, il planta un gros clou ; au clou, il accrocha une corde et fit le nœud coulant.
Il passa le nœud autour des os du cou.
Alors il plaça la corde du nœud en la serrant de façon qu’elle s’appuyât d’une part sur le menton et de l’autre sur l’os occipital. Puis il tira.
Le squelette se trouva pendu.
– Bon ! fit maître Ledoux ; voilà mon homme en posture ! Que dois-je faire à ce moment ! Je dois me suspendre à ses jambes et tirer dessus d’un fort coup bien sec… Que s’ensuit-il ?… Que les vertèbres du col sont brisées et que la mort survient aussitôt… Oui, mais si je ne donne pas la secousse ?…, Si je fais semblant de la donner ?… Les vertèbres demeurent intactes, et mon homme peut demeurer dans cette position assez longtemps… si toutefois il n’étouffe pas !… Recommençons !
A plus de dix reprises, maître Ledoux s’exerça à ce macabre et fantastique exercice.
Il dépendait le squelette, lui ôtait la corde.
Puis il replaçait le nœud et tirait sur la corde.
Il recommença ainsi jusqu’à ce que du premier coup, et sans hésiter, il fût arrivé à placer le nœud coulant à l’endroit précis qu’il s’était indiqué.
Alors maître Ledoux eut un large ricanement.
Il enveloppa son squelette avec beaucoup de soin et il songea à prendre quelque repos.
Mais au moment où il se dirigeait vers son lit, on frappa violemment à sa porte. Il alla ouvrir. C’était un de ses valets.
– Maître, il est temps ! dit cet homme.
– Quelle heure est-il donc ?…
– Six heures maître.
La nuit avait passé avec une rapidité dont maître Ledoux n’avait pas eu conscience.
– C’est bon, dit-il, j’y vais !…
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Chapitre 22 LA RUE SAINT-ANTOINE
N ous avons vu le révérend Loyola s’élancer au moment où éclatait la folie du comte de Monclar, s’élancer, disons-nous, hors de l’hôtel de la grande prévôté pour rattraper les gardes qui emmenaient Lanthenay et assister au supplice du malheureux jeune homme.
Les mains étroitement liées, solidement maintenu par deux geôliers, entouré d’une vingtaine de gardes, Lanthenay marchait sans résistance.
L’infortuné ne comprenait rien à ce qui arrivait.
Son père l’avait reconnu !…
Son père avait témoigné, à le retrouver, une joie, une émotion puissantes…
Et son père le laissait emmener au gibet !…
Que se passait-il donc dans l’esprit du grand prévôt ?… Est-ce que son cœur s’était donc racorni à ce point dans l’exercice de ses fonctions, qu’il sacrifiât ainsi son fils !…
Certes, il avait haï le grand prévôt quand il ignorait qu’il était le fils du comte de Monclar…
Mais n’avait-il pas senti cette haine se fondre comme neige au soleil au moment où il avait été sûr d’avoir retrouvé son père ?
Et maintenant !…
Ce père ! Allait-il donc mourir en
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