La Cour des miracles
mollement, avec tant de réticences, qu’à six heures du matin, Manfred, désespéré, partit accompagné seulement de Fanfare et de Cocardère.
– Connaissons-nous quelqu’un de sûr dans la rue Saint-Antoine ou dans la rue Saint-Denis ? demanda-t-il.
– Il y a Didier le bourrelier, dans la rue Saint-Antoine, dit Fanfare.
– Allons chez Didier…
Ce bourrelier, qui était aussi marchand de hardes diverses, habitait dans la rue Saint-Antoine une petite maison dont il était le propriétaire.
Il avait des accointances avec certains truands et mettait ses caves à leur disposition, moyennant une honnête rétribution, lorsqu’ils avaient des marchandises à cacher…
Manfred et ses deux compagnons, en arrivant chez Didier, le mirent au courant de la situation.
– La maison est à vous, répondit le bourrelier.
Le plan de Manfred était de se jeter tout à coup sur les gardes de Lanthenay. Pendant qu’il bataillerait avec Cocardère et Fanfare, Didier entraînerait Lanthenay dans sa maison où ils se réfugieraient tous.
Quant à la fuite, elle devenait dès lors aisée.
Derrière la maison du bourrelier, il y avait un jardin dont il ne s’agirait que d’enjamber le mur pour aller gagner une autre maison.
Ce genre d’attaque avait déjà réussi à Manfred, qui avait ainsi arraché deux ou trois truands à la potence.
Généralement, un homme conduit à la potence était escorté par sept ou huit sbires et les choses se passaient en douceur.
Ce plan ne put être exécuté.
Embusqués dans la boutique du bourrelier, Manfred, Cocardère et Fanfare attendaient le passage de Lanthenay.
Le supplice était pour sept heures.
Mais sans doute un événement imprévu avait retardé l’heure, car huit heures sonnaient à la chapelle Saint-Paul lorsque Cocardère s’écria :
– Les voilà !
C’était en effet l’escorte de Lanthenay.
Manfred étouffa un juron et devint très pâle.
Il y avait plus de trente gardes autour de Lanthenay.
Il n’y avait pas moyen, à trois, d’attaquer une force pareille, en plein jour, en présence de toute une population hostile au condamné.
Les trois compagnons sortirent de chez le bourrelier et se mirent à marcher machinalement parmi les gens du peuple qui suivaient l’escorte.
Ce fut ainsi qu’ils arrivèrent à la Croix du Trahoir.
Il y eut pour eux un moment d’anxiété terrible.
Mais lorsqu’ils virent s’abattre le poteau de la potence, ils comprirent que le bourreau tenait sa parole et reprirent courage. Ils avaient encore toute une journée pour agir !
Manfred assista sans l’entendre à la conversation qui eut lieu entre Loyola et le bourreau. Mais il vit le moine exhiber un papier et le bourreau courber respectueusement la tête.
Enfin, il vit Loyola s’élancer.
Il fit signe à Cocardère et à Fanfare de le suivre.
Devant la maison de Didier le bourrelier, ils se jetèrent sur lui et l’entraînèrent.
Loyola examinait d’un air sombre les trois hommes qu’il avait devant lui.
Il espérait qu’il était tombé entre les mains de francs-bourgeois audacieux qui en voulaient à sa bourse.
Et il reprit :
– Est-ce de l’argent qu’il vous faut ?… En ce cas, dites vite la somme.
– Et comment l’aurions-nous ? demanda Manfred.
Loyola sourit. C’étaient décidément de simples voleurs.
– Faites-moi apporter de quoi écrire ; dans un instant je vais vous signer un bon sur la caisse du couvent des Augustins. Quelle somme ?
Manfred fit un signe à Didier, qui se précipita hors du caveau.
– Vous allez savoir ! dit-il à Loyola.
Au bout de quelques minutes, le bourrelier revint ; il traînait derrière lui une petite table ; sur la table, il plaça une écritoire, une plume et une feuille de parchemin.
– Ecrivez, monsieur ! dit Manfred.
– Je suis prêt ! répondit Loyola, quelle que soit la somme ; mais j’espère que vous n’abuserez pas…
– Non, vous allez voir que cela ne vous coûtera pas trop cher.
Et Manfred dicta :
– Ordre à maître Ledoux, bourreau-juré de Paris…
– Que dites-vous ? s’écria le moine en posant la plume.
– Monsieur, dit froidement Manfred, pas d’inutile comédie entre nous ; vous en voulez mortellement à Lanthenay parce qu’il vous a blessé, parce qu’il a essayé de sauver le malheureux Dolet, votre victime, enfin, parce que ses instincts d’indépendance vous déplaisent, à vous l’homme de l’autorité violente et
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