La Cour des miracles
lui jetant une malédiction suprême ?
Comme il réfléchissait à ces choses, presque inconscient de sa marche au gibet, une voix près de lui raillant, comme cette même voix avait raillé tout à coup à l’oreille de Dolet marchant au bûcher :
– Etes-vous prêt à mourir ?
Lanthenay reconnut Loyola.
– J’espère, reprit Loyola, que vous employez les cinq ou six minutes qui vous restent à vivre à vous réconcilier avec Dieu…
– Je vous engage, dit rudement Lanthenay, à me laisser mourir tranquille.
– Quoi ! pas un mot de repentir !… Ou tout au moins ne voulez-vous rien faire dire à personne ? Il y a pourtant des êtres que vous aimez… qui vous aiment…
Mais déjà Loyola se hâtait de continuer :
– Je suis sûr qu’il serait consolant pour votre pauvre père de recevoir vos adieux, que je me charge bien volontiers de lui transmettre…
– Mon père ! murmura Lanthenay devenu livide.
– Oui ! Votre père qui vous aime… il me l’a dit !… Votre père qui éprouve une bien vive douleur à vous sacrifier à son devoir…
– Ainsi, gronda Lanthenay, je meurs par la volonté du grand prévôt ?…
– Non par sa volonté, grand Dieu !… mais par son consentement… simplement par son consentement ! Ah ! c’est un magnifique exemple d’abnégation que donne là le comte de Monclar, votre père.
Lanthenay se taisait. Il étouffait de douleur.
– Eh bien, dites-lui donc… dites-lui à ce père si intrépide qui livre son fils au bourreau… dites-lui qu’à tous mes crimes j’en ajoute un dernier… celui de le haïr comme on hait le bourreau même, celui de le mépriser comme on méprise les valets du bourreau ! Dites-lui cela, à ce digne père, et espérons que cela lui donnera quelques nuits de bon sommeil…
– Votre volonté m’est sacrée, dit Loyola, car c’est la volonté d’un mourant. Mais Dieu m’est témoin que j’eusse voulu rapporter d’autres paroles à mon malheureux ami…
– C’est bien, dit Lanthenay d’un air sombre ; écartez-vous, maintenant. Ne demeurez pas à côté… ou je vous jure que dans l’impuissance où je suis de vous étrangler comme vous le méritez, je vous cracherai à la face devant tout ce peuple…
Loyola se recula de deux pas en disant à haute voix :
– Mon Dieu, pardonnez à cet infortuné, car il ne sait ce qu’il dit !
Et, dans la foule, on admira la magnanimité du moine.
Lanthenay, dès lors, marcha la tête basse, absorbé en sa suprême méditation.
Tout à coup, il sentit qu’on s’arrêtait.
Il leva les yeux, regarda autour de lui, et vit le gibet.
Lanthenay sourit dédaigneusement. Devant la mort imminente, il reprenait toute sa liberté d’esprit. L’ombre de son père qui venait de l’obséder se dissipa.
Il s’avança vers le gibet et dit au bourreau :
– Tâche de faire vite et bien ! On dit que tu es fort habile ; je vais voir si ta réputation est juste.
A la surprise de tous les assistants, le bourreau répondit. Jamais maître Ledoux ne parlait au moment redoutable.
– Soyez tranquille, fit-il avec une sorte de joyeuse humeur ; je vais faire pour vous mieux que je n’ai jamais fait pour personne.
– Va donc, et fais vite !
A ce moment, les chants de deux ou trois religieux qu’on avait prévenus et qui se trouvaient au pied du gibet s’élevèrent.
Maître Ledoux s’approcha et arrangea vivement le col du pourpoint de Lanthenay. Pour procéder à cette opération, il s’était placé derrière Lanthenay.
Et Lanthenay fut secoué comme d’une secousse électrique lorsqu’il entendit une voix – la voix du bourreau ! – murmurer à son oreille :
– Ne vous étonnez de rien, et ouvrez l’œil ! Votre frère veille !…
En même temps, le bourreau se reculait, et s’adressant à son principal valet :
– Eh bien ! cria-t-il, qu’attends-tu, mauvais capon, pour éprouver la solidité de cette corde !…
Le valet, surpris – car cette formalité n’était pas dans les habitudes – n’en obéit pas moins avec promptitude.
Il se suspendit à la corde et tira dessus d’un coup sec et violent.
On entendit un craquement. Le poteau s’abattit !…
Le bourreau poussa une horrible imprécation.
Les chants des moines cessèrent…
Le cœur de Lanthenay palpitait à se briser.
– Tous ces poteaux des gibets de Paris sont pourris ! sacra le bourreau.
Loyola s’était approché et se penchait sur le poteau,
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