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La Cour des miracles

Titel: La Cour des miracles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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qui contrastait violemment avec la bestialité de son visage.
    Manfred ne voyait plus le bourreau.
    Les bras croisés, la tête penchée, il méditait.
    Toutefois, avant de se retirer, il essaya une dernière fois d’ébranler le bourreau.
    – Ainsi, lui dit-il, en échange de ce que je vous apporte, vous ne pouvez que retarder l’heure de l’exécution ?
    – Je ne puis que cela ! dit le bourreau. Et pourtant…
    – Pourtant quoi ?
    – Je donnerais dix ans de ma vie pour vous éviter un chagrin.
    – Ce n’est pas votre vie que je veux… c’est celle de mon malheureux frère qu’il faut sauver !
    – C’est votre frère ?
    – Oui, mon frère !
    Maître Ledoux fit quelques pas dans la vaste et sombre salle. Un travail énorme se faisait dans sa tête.
    – Ecoutez, dit-il brusquement en s’arrêtant devant Manfred… au lieu de reculer l’exécution jusqu’à 10 heures, je puis la reculer jusqu’au soir… cela vous donne toute la journée… Et puis… cela me permettra peut-être… J’ai déjà vu le cas une fois…
    – Que voulez-vous dire ? demanda Manfred palpitant.
    – Voyons… L’exécution n’aura lieu qu’à la nuit tombante ; cela, je m’en charge, et cela vous donne une chance de plus pour agir dans l’obscurité… Mais si vous ne réussissez pas… si… votre frère est pendu…
    – Eh bien ? haleta Manfred.
    – Eh bien ! ne vous éloignez pas du gibet… Attendez que les gardes soient partis… et alors… oui, alors dépendez-le !… Je tenterai ce miracle… mais souvenez-vous que je ne réponds de rien ! Souvenez-vous qu’à ce moment là toutes les chances sont pour que vous emportiez un cadavre !
    Quelle redoutable épreuve voulait donc tenter maître Ledoux ?
    Manfred fit un violent effort sur lui-même, parvint à se ressaisir, fit signe à ses compagnons de le suivre, et ayant jeté à maître Ledoux un regard de suprême recommandation, se hâta de s’éloigner de la maison maudite.
    Demeuré seul, maître Ledoux referma soigneusement sa porte et revint s’asseoir près de l’âtre.
    Les coudes sur les genoux et la mâchoire dans les deux mains, le bourreau regardait fixement la flamme. Il était grave et sévère comme à son habitude. Il semblait qu’il n’y eût rien de changé en lui. Seulement, ses yeux, ordinairement ternes ou sanglants, brillaient de cet éclat spécial et velouté que les larmes donnent au regard.
    De temps à autre, il grognait des phrases obscures.
    – C’est rudement bon, tout de même… pouvoir regarder dans les coins noirs sans crainte de voir s’y dresser le spectre de la femme… pouvoir écouter le vent qui siffle dans cet âtre sans entendre les hurlements de la morte… pouvoir regarder et écouter dans moi-même.
    Puis, après un long silence, il ajoutait, suivant sans doute à la piste sa pensée :
    – Oui, certes… entre l’occiput et le maxillaire… Non, ce serait un vrai miracle…
    Et encore ceci qu’il grommela longtemps après :
    – Pourtant, je ne veux pas que ce jeune homme pleure !
    Le bourreau se leva brusquement et se mit à se promener lentement, les mains au dos.
    Il murmurait :
    – Toute la question est de savoir si le corps peut demeurer suspendu en prenant comme point d’appui l’os occipital et l’os auxiliaire, sans briser les vertèbres… Il faut voir…
    Il se dirigea vers la porte, et passa dans une pièce voisine en s’éclairant de la torche.
    Dans un coin de cette pièce, un objet oblong était dressé debout contre le mur et enveloppé de serge.
    Le bourreau lentement, avec méthode, fit tomber la serge, et l’objet apparut.
    C’était un squelette complet.
    Il était admirablement agencé, articulé, et il n’y manquait pas le plus petit os ; maître Ledoux avait passé de longs mois à exécuter ce travail qui eût fait honte aux travaux de ce genre qu’on exécute pour les musées d’anatomie. Cela avait été une grande distraction pour cet homme. Et une distraction non moins puissante avait été, pour lui, d’étudier à fond ce squelette.
    Il essuya soigneusement un peu de poussière tombée sur le crâne et les omoplates.
    Puis son doigt se posa sur les vertèbres du cou.
    – Voilà ce qu’il ne faut pas briser ! grogna-t-il.
    Il se perdit en une longue méditation, puis murmura :
    – Pourtant, cela s’est vu ! La chose est arrivée à Gaspard le Flamand. Je m’en souviendrai toute la vie. C’était en l’an quinze cent

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