La Cour des miracles
absolue !
– Vous vous trompez, mon fils… je ne suis pas l’homme de l’autorité violente, comme vous dites…
– Allons donc ! Regardez-moi, monsieur… vous ne me reconnaissez pas ?
– Je ne vous connais pas ! dit Loyola en regardant attentivement Manfred.
– Souvenez-vous de ce déjeuner que vous fîtes chez maître Rabelais, à Meudon, en compagnie de messire Calvin et d’un autre…
– Ah ! ah ! l’autre, c’était vous, jeune homme ! Je vous remets à présent.
– J’en suis très honoré, monsieur. Vous comprenez maintenant que je vous connais ! Je sais de quelles haines implacables vous nourrissez votre esprit ! C’est vous qui avez fomenté l’attaque contre la Cour des Miracles, c’est vous qui avez voulu la mort de Dolet ; c’est vous qui voulez la mort de Lanthenay…
– Soit ! Et après ?
– Après ? Vous allez écrire ce que je vais vous dicter.
– Et si je n’écris pas ?
– En ce cas, dans deux minutes vous serez mort. Vie pour vie, monsieur !
Loyola courba la tête et demeura pensif.
– Vous êtes bien jeune, dit-il enfin, et vous vous heurtez à plus fort que vous, je vous en préviens.
– Lanthenay est mon frère. Je suis décidé à tout pour le sauver.
– Même à un crime abominable perpétré sur un homme d’Eglise ?
– Oui, monsieur, dit Manfred très calme. Dépêchez-vous ; il ne vous reste qu’une minute. Ecrivez… ajouta-t-il en se montant, écrivez, ou sangdieu je vous égorge comme j’égorgerais une bête malfaisante !…
Loyola prit la plume.
– Dictez ! fit-il d’un ton bref où Manfred démêla une sorte d’ironie. Dictez… mais c’est bien convenu, n’est-ce pas ? Vie pour vie, avez-vous dit ?
– Je le jure ! dit Manfred.
– C’est bien, je suis prêt.
Manfred, ivre de joie, dicta :
– « Ordre à Ledoux, bourreau-juré de Paris, de surseoir au supplice du condamné Lanthenay qui est gracié… Ordre au bourreau de remettre le condamné sain et sauf ès mains de ses gardes. »
Loyola signa.
– Ce n’est pas tout, dit alors Manfred. Ecrivez, monsieur… non, pas sur le même parchemin… sur celui-ci…
La mine du moine se fit plus sérieuse.
Manfred dicta :
– « Ordre au sergent, chef des gardes de la prévôté chargés d’escorter le condamné Lanthenay, de le mettre en liberté séance tenante… »
– Mais je ne suis pas qualifié pour signer un ordre pareil ! s’écria Loyola.
– Ecrivez toujours… et pas d’hésitation, monsieur !
Loyola jeta un coup d’œil sur Manfred. Il le vit tourmenter nerveusement le manche de son poignard.
Il eut un frémissement de fureur, écrivit et signa. Manfred relut soigneusement les deux parchemins et les mit dans son pourpoint.
– Je suis libre, n’est-ce pas ? demanda le moine.
– Tout à l’heure, monsieur ! Veuillez me remettre le papier que vous avez sur vous !
– Quel papier ! demanda Loyola en blêmissant.
– Pas de comédie, monsieur ! Je parle du papier que vous avez montré au bourreau et devant lequel il s’est incliné avec tant de respect.
– Ce papier est insignifiant pour vous, balbutia le moine.
– Raison de plus pour me le remettre… Allons, décidez-vous !… à moins que vous ne préfériez que je le prenne moi-même sur votre cadavre…
Le moine vit que toute résistance était inutile. Et comme il n’était pas homme à s’emporter en vaines récriminations, il sortit le parchemin et le tendit à Manfred en disant :
– Voilà ce que vous voulez, mon fils. Souvenez-vous que je me suis exécuté de bonne grâce… et que peut-être je ne suis pas l’ennemi de Lanthenay autant que vous paraissez le croire.
Mais Manfred n’écoutait plus.
Il avait déplié le parchemin et jeté un cri de joie.
C’était l’ordre, signé et scellé par le grand prévôt, qui enjoignait à tous gardes de la prévôté, agents du guet et de la force, d’obéir au révérend, porteur du parchemin !
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Chapitre 23 VOYAGE DE LOYOLA
M anfred glissa quelques mots à l’oreille de Cocardère et se précipita au dehors. Dans la rue, il se mit à courir comme un fou dans la direction de la Croix du Trahoir.
Comme il courait ainsi éperdument, il heurta un homme que des gamins suivaient à quelques pas.
L’homme roula à terre en criant :
– Vous avez beau faire ! Je le retrouverai maintenant !
Il ramassa une lanterne éteinte qu’il avait laissé tomber au choc et
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