La Cour des miracles
convient pas de discuter avec vous les actes de ma vie et les mobiles qui les inspirèrent. Dites-moi seulement ce que vous voulez faire de moi… Songez seulement que si vous êtes les plus forts aujourd’hui, il n’en sera pas toujours de même. Si vous me détenez prisonnier, le roi de France, dont je suis hôte, s’inquiétera de ma disparition et me fera rechercher. On finira par découvrir la vérité… C’est dans votre intérêt que je parle et non dans le mien, car j’ai depuis longtemps habitué mon esprit à la pensée des persécutions que je pourrais endurer au service de Dieu et de sa sainte Eglise…
– Ne parlons pas de persécutions, monsieur, dit Manfred ; ce chapitre entraînerait trop loin, s’il nous fallait dénombrer toutes celles que vous avez suscitées. Causons plutôt de nos affaires.
– Soit ! dit paisiblement Loyola.
– Nous aurons donc, reprit Manfred, à discuter de votre liberté, c’est-à-dire des conditions que nous mettons à cette liberté.
– Des conditions…
– Oui ; cela vous étonne ? Donc, nous aurons tous les deux à traiter cet intéressant sujet. Mais avant de l’aborder, voici mon frère Lanthenay qui a d’abord à vous entretenir d’un sujet qui lui tient à cœur…
Loyola fixa sur Lanthenay un regard interrogateur.
– Monsieur, dit alors celui-ci, vous rappelez-vous les paroles que vous m’avez dites ce matin ?
– Des paroles de consolation chrétienne, murmura vaguement Loyola.
– Non, des paroles de malédiction qui m’ont brûlé le cœur. Vous m’avez dit, monsieur, que j’allais au gibet par le consentement du comte de Monclar.
– Il est vrai…
– Or, je vous demande maintenant si vous n’avez pas menti ?
– L’homme de Dieu ne ment jamais.
– Faites bien attention, reprit Lanthenay avec un calme qui glaça le moine, faites bien attention que je vous demande la vérité absolue… je vous demande de parler du fond de votre conscience. Peut-être le comte de Monclar a-t-il été contraint à ce consentement ?… Dites… En ce cas, je vous connais assez maintenant pour savoir que vous avez pu jouer sur le mot consentement… Comment le grand prévôt a-t-il consenti ? Voilà ce que je veux savoir…
– Qui peut se flatter de connaître le vrai mobile des hommes ?
– Je vois que nous ne nous entendons pas. Je vais vous dire une chose, monsieur. Mon ami Manfred que voici s’est tout à l’heure heurté au comte de Monclar dans la rue…
Lanthenay s’arrêta pour respirer, comme s’il étouffait… Il reprit :
– Or, savez-vous ce que Manfred a constaté ?
– J’attends que vous me l’appreniez.
Lanthenay saisit le bras du moine…
– Le comte de Monclar est fou ! dit-il d’une voix rauque. Fou ! Entendez-vous cela ? Il cherche son fils ! Il l’appelle en pleurant… Pourquoi le comte de Monclar est-il devenu fou ? Parlez, monsieur ! Vous le savez…
– Vous m’étonnez ! dit Loyola.
– Pourquoi, au moment où j’ai été entraîné hors de son hôtel, mon père se débattait-il parmi des gardes ? Cela aussi, vous le savez ! Parlez ! Avoue donc que tu as affreusement menti, misérable ! Avoue donc que ta fourbe et ton audace avaient seules préparé mon supplice…
– Vous vous trompez, je vous l’affirme ! En ce moment, je n’aurais aucun intérêt à mentir… J’ai remarqué en effet d’étranges contradictions dans les ordres que le grand prévôt donnait à votre sujet… Je l’ai entendu moi-même ordonner de vous conduire au gibet… J’ai vu ensuite qu’il essayait de se jeter sur les gardes. Je suis parti à ce moment et n’en sais pas davantage. Vous m’ouvririez la poitrine pour fouiller mon cœur que vous n’y trouveriez pas le mensonge que vous cherchez.
Lanthenay se tourna vers Manfred.
Celui-ci haussa les épaules comme pour dire :
– Tu n’en tireras rien !
– Oh ! murmura Lanthenay, je donnerais vingt ans de ma vie pour savoir que mon père n’a pas consenti au supplice !
Loyola serra les lèvres.
– Bon ! pensa-t-il. Tu auras toujours cette souffrance-là dans le cœur. Pour le reste, nous verrons.
Lanthenay lâcha le bras du moine qu’il serrait violemment, et se recula de quelques pas, découragé.
– Puisque monsieur persiste à se taire, fit alors Manfred, nous allons régler la question de sa liberté…
Loyola tressaillit, mais ne dit pas un mot.
– Nous avons d’abord songé à vous lâcher
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