La Cour des miracles
sur le pavé de Paris après toutefois nous être mis hors de vos atteintes. Mais nous avons réfléchi que les Parisiens pourraient à bon droit nous maudire… D’autre part, n’étant pas doués comme vous et vos pareils d’une nature de tourmenteur, il nous répugne de vous garder en prison… Et puis vous auriez fini par pervertir, avec vos sermons, les braves gens que nous aurions commis à votre garde.
Loyola se taisait toujours. Manfred continua :
– Pour ménager les intérêts de tous, nous avons simplement résolu de vous conduire hors de Paris.
– Je suis prêt ! ne put s’empêcher de s’exclamer Loyola.
– Cocardère et Fanfare, que je vous présente ici, auront l’honneur de vous escorter…
– Me laisserez-vous au moins choisir la ville où je devrai être déposé ?
– Dites toujours… Où désirez-vous être conduit ? Je vous préviens qu’il faut que ce soit assez loin de Paris…
– La ville où je voudrais aller n’est pas très éloignée, il est vrai. Mais je pourrais vous jurer sur le crucifix de n’en pas sortir avant huit jours, ce qui, en somme, répondrait à votre plan…
– Eh bien… quelle est cette ville ?
– Fontainebleau ! dit Loyola, qui ignorait complètement que Manfred se fût préoccupé du départ du roi pour cette ville.
Manfred éclata de rire :
– Demandez-moi donc de vous conduire par la main jusqu’au roi de France, votre digne ami, auquel vous n’auriez plus qu’à demander ma tête !
– Le roi de France ! balbutia Loyola. Vous vous trompez… je voulais me retirer dans le monastère de cette ville.
Manfred regarda Cocardère par-dessus son épaule :
– Tu as remarqué un monastère à Fontainebleau ?
– Ma foi non…
– Vous voyez bien, monsieur… Impossible de vous conduire à Fontainebleau.
– Soit ! Choisissez vous-même la ville où vous prétendez me conduire. Une question seulement : quand devrai-je partir d’ici ?
– Mais à l’instant même !
– Soit ! fit encore Loyola, comme s’il eût consenti un sacrifice, mais en réalité avec une joie qui n’échappa pas à Manfred. Celui-ci continua :
– Il y a là-haut, devant la porte de cette maison, une chaise de voyage confortable à souhait et munie de mantelets fermant à clef. Je te préviens, Cocardère, qu’il y a dans le coffre du siège, un sac où tu trouveras de quoi pourvoir aux besoins du voyage…
– Bon ! fit Cocardère.
– Donc, voici ce qui va se passer : nous montons tous ; le révérend entre dans la voiture sans pousser un cri, car il sait bien qu’au premier appel, il recevrait dans la gorge trois pouces de cette lame… Ensuite, notre brave ami Fanfare y entre à son tour ; les mantelets sont fermés à clef ; Cocardère monte sur le siège et n’a plus qu’à fouetter les deux vigoureux normands qui vont avoir l’honneur de vous entraîner…
– Je suis disposé à obéir sans résistance. Vous abusez de votre force ; mais il ne sera pas dit que l’homme de Dieu aura opposé la force à la force. Dites-moi seulement en quel endroit vous me ferez déposer…
– Vous avez gardé votre secret tout à l’heure, dit gravement Manfred ; à mon tour, je garde le mien !…
Manfred sortit du caveau, suivi de Cocardère.
Il fut plus d’une heure absent. Sans doute, il donna à Cocardère des instructions détaillées.
Au bout de cette heure, Manfred apparut dans le caveau.
– Suivez-moi, monsieur, dit-il à Loyola.
– Puis-je savoir au moins combien de temps durera le voyage ?
– Peuh ! quelques heures… Venez, et songez qu’au premier geste, vous êtes mort…
Manfred monta. Derrière lui venait Loyola. Derrière le moine marchait Lanthenay, son poignard à la main. Fanfare fermait la marche.
Devant la porte du bourrelier stationnait, en effet, une chaise de voyage. Sur un signe de Manfred, Fanfare y prit place. Cocardère était déjà sur le siège.
En arrivant sur le pas de la porte, Loyola, encadré par Manfred et Lanthenay, jeta un rapide coup d’œil à droite et à gauche.
Mais la rue était déserte.
Loyola eut un frémissement de rage et monta dans la voiture en murmurant :
– Que Jésus vous maudisse !
– Bon voyage ! cria Manfred.
La voiture s’ébranla au grand trot de ses deux chevaux.
Plongé dans la demi-obscurité de sa prison roulante, Loyola méditait sur ce qui lui arrivait. Non seulement il était joué, battu à plates coutures, mais
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