La Cour des miracles
encore le but principal de son voyage en France était manqué. Ce but était de placer, auprès du roi de France, un homme qui le mît au courant de tout ce que ferait et penserait le monarque.
Déjà l’esprit actif du chef des jésuites songeait à l’avenir. Déjà il dressait de nouvelles batteries.
Dès qu’on lui rendrait la liberté, il se dépouillerait de son froc, achèterait un cheval et courrait à franc étrier jusqu’à Fontainebleau.
Là, son premier soin serait de faire agréer par François I er une de ses créatures comme grand prévôt de Paris, en remplacement du comte de Monclar.
Alors, il bouleverserait Paris jusqu’à ce qu’il eût mis la main sur Manfred et sur Lanthenay…
La nuit vint. Mais la voiture continua son chemin.
Pendant ce temps, Fanfare bâillait à se décrocher la mâchoire. Il tombait de sommeil et de faim, mais il n’osait s’endormir.
Enfin, n’y tenant plus, il frappa aux mantelets.
– Tout à l’heure ! répondit la voix de Cocardère. Patience, que diable !
Il était environ dix heures lorsque la voiture s’arrêta. Loyola attendit avec une avide anxiété.
– Ouvre ! cria Cocardère.
Fanfare obéit avec empressement.
– Quelle diable de commission nous a donnée là Manfred ! s’écria-t-il. Pour un vilain oiseau de cette espèce, est-il besoin de tant de façons ?… Je vais l’étrangler tout bonnement…
– Non pas ! Nous devons conduire le révérend père, nous le conduirons…
– Mais j’enrage de famine, moi !
– Sois tranquille, l’heure du dîner a sonné.
Loyola avait avidement regardé par le mantelet ouvert. A sa grande stupeur, et à son inquiétude plus grande encore, il constata que la voiture s’était arrêtée en pleine campagne sur une route absolument déserte et noire.
– Mais où me conduisez-vous donc ? gronda-t-il.
– Tenez, mon révérend, je ne veux pas vous faire chercher plus longtemps… je vous conduis en Bourgogne, à Dijon…
– A Dijon ! exclama le moine. Pourquoi Dijon ?
– Je l’ignore complètement, mon révérend père.
– Mais il nous faut quatre bonnes journées pour y arriver !
– A peu près…
– Où allons-nous passer la nuit ?
– Mais il me semble que vous serez très bien dans la voiture…
– Soit, pour moi qui suis habitué à la dure, mais vous, pauvres gens !…
– Ne vous inquiétez pas de cela, mon digne père.
Sous ces questions multiples, Loyola dissimulait la joie profonde qu’il éprouvait.
– Quatre jours pour aller à Dijon, autant pour revenir à Fontainebleau… Allons ! rien n’est perdu !…
Cependant Cocardère avait organisé un dîner sommaire.
Il avait commencé par passer à la tête des chevaux une musette remplie d’avoine ; au préalable, il avait dételé les deux normands et les avait fait boire à un ruisseau dont on entendait le murmure à dix pas de là ; en ayant fini avec les chevaux, Cocardère s’était occupé des hommes.
On mangea dans la voiture à la lueur d’une lanterne.
Loyola prit sa part du repas et dîna de fort bon appétit ; il se montra d’excellente humeur, et trouva moyen d’intéresser ses deux gardiens en leur faisant le récit des batailles auxquelles il avait assisté avant d’entrer dans les ordres.
Si bien, que Cocardère s’écria :
– Sang-dieu, mon père, quel beau truand vous auriez fait ! Et quel dommage que vous ayez mal tourné !
Loyola se mit à rire en buvant une rasade d’un excellent flacon que Fanfare venait de déboucher.
Enfin, ce fut presque avec une certaine cordialité que les deux compères souhaitèrent le bonsoir au révérend et descendirent de la voiture dont ils fermèrent soigneusement les mantelets. Ils se roulèrent alors dans des couvertures et dormirent consciencieusement.
Au soleil levant, la route fut reprise dans les mêmes conditions que la veille. Les journées passèrent en somme assez rapidement pour Loyola.
Cinq jours s’écoulèrent ainsi.
Le soir du cinquième jour, comme les trois hommes, devenus en apparence les meilleurs amis du monde, s’installaient pour dîner, Loyola demanda :
– Nous ne devons pas être loin de Dijon… nous y arriverions sûrement, si nous poursuivions.
Cocardère se mit à rire.
– Dijon ! Nous l’avons traversé aujourd’hui à midi.
Loyola pâlit, et, un instant, il fut sur le point de se départir du rôle de jovial compagnon qu’il avait pris.
Cocardère continuait
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