La couronne dans les ténèbres
les lettres que Benstede a envoyées au roi.
Burnell, pour soulager son corps ankylosé, entreprit d’arpenter lentement la pièce, observé par Corbett.
— Je vous ai envoyé en Écosse, commença-t-il, sans l’autorisation du roi et de ma propre autorité, car je ne voulais pas de guerre entre l’Angleterre et l’Écosse. Nos deux pays sont en paix. Nos deux pays profitent et jouissent de cette paix. Le roi a toujours eu une opinion différente. C’est un conquérant, Corbett. Il a écrasé les Gallois, tué leurs chefs et transformé leur royaume en comtés anglais dominés par la masse grise de ses énormes forteresses. Il a toujours voulu agir de même avec l’Écosse. D’abord, il a marié sa soeur, Marguerite, à Alexandre III, dans l’espoir qu’un de ses neveux monterait sur le trône d’Écosse.
Burnell fit une pause avant de continuer :
— Mais Marguerite et ses deux garçons moururent. Notre suzerain accepta ce coup du sort, mais essaya, sans succès, d’arracher un serment d’hommage à Alexandre III pour son royaume d’Écosse. Il entendait établir le principe de la suprématie anglaise sur l’Écosse, car cela se serait avéré utile au cas où un de ses neveux aurait été couronné roi d’Écosse ou en cas de succession incertaine. Bref, poursuivit l’évêque avec lassitude, voilà Alexandre, seul, sans héritier et se mettant à courir le jupon. Notre souverain ne trouve rien à y redire jusqu’au moment où les circonstances changent. Un nouveau roi français, Philippe IV, monte sur le trône, avec des rêves de grandeur qui éclipsent ceux d’Edouard. Avez-vous jamais entendu discourir ses législateurs ou avez-vous jamais lu un de leurs traités ?
Corbett fit signe que non.
— C’est une lecture fascinante, murmura pensivement le chancelier avant de rejoindre Corbett près de la fenêtre et de poursuivre. Ils voient en Philippe un nouveau Charlemagne, et cela inquiète Édouard. D’autant plus que Philippe entame des négociations secrètes avec Alexandre et lui donne la belle Yolande pour épouse. A présent, le trône d’Écosse peut être occupé par un parent de Philippe ! Alors Édouard envoie l’humble Benstede en Écosse, non pas, je m’empresse d’ajouter, avec des ordres précis pour assassiner Alexandre. Oh non ! mais avec des instructions « pour faire tout ce qui est en son pouvoir pour entraver et empêcher l’alliance avec la France ».
— Et Alexandre est assassiné ?
— Oui, répliqua Burnell, et moi, je commence à avoir des soupçons. Si la mort d’Alexandre est un accident ou est imputable à quelqu’un d’autre, alors peu importe, mais — Burnell éleva la voix — si c’est Benstede le coupable, alors je sais quels sont les vrais projets à long terme d’Édouard pour l’Écosse, quoi qu’il puisse dire !
— Mais le roi Édouard, l’interrompit Corbett, a été des plus discrets à ce sujet.
— En public, souligna Burnell, oui ! Pas en privé. Je pense réellement que son indifférence affichée pour ce qui se passe en Écosse n’est qu’un masque. Il n’a pas assassiné Alexandre, mais doit se réjouir de ce que le roi écossais est mort, car cela va dans le sens de son projet secret d’annexer le royaume.
Burnell se tut un instant et lança un regard appuyé à Corbett.
— Je sais, à présent, grâce à votre séjour en Écosse, que la mission confiée par Édouard à Benstede faisait partie de ce grand projet ambitieux d’annexion par des moyens pacifiques ou, si cela échouait, par la guerre.
— Mais Édouard se trouve en France, objecta Corbett, et a fort à faire avec le problème de la Guyenne !
— C’est juste, répondit le chancelier en souriant, mais j’ai appris de mes agents à l’Échiquier que les clercs du Trésor royal ont envoyé un prêt libre d’intérêts de deux cents livres sterling à Éric, roi de Norvège.
— Vous voulez dire... ! s’exclama Corbett.
— Ce n’est pas tout, poursuivit Burnell. Édouard a aussi chargé des envoyés secrets d’aller demander à Rome une dispense papale pour que son fils de deux ans puisse se marier malgré la consanguinité. La future épouse a déjà été choisie, car il y a des envoyés anglais maintenant en Norvège qui essayent d’obtenir la main de la princesse Marguerite pour le propre fils d’Édouard ! Vous voyez donc, Messire, que le roi s’est beaucoup occupé des affaires écossaises. Par tous les moyens,
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