La couronne dans les ténèbres
siffla sur une haute branche et l’agonisant sembla y répondre par un gargouillis de bulles dans la gorge. L’odeur d’herbe écrasée envahit ses narines tandis qu’il se demandait ce qui lui arrivait. « Corbett ! pensa-t-il. C’est Corbett le responsable ! » Il avait commis, songea-t-il dans son agonie, la plus grave erreur de sa vie. Il avait fait confiance à Corbett. Il avait cru que Corbett connaissait les règles du jeu. Néanmoins, se rassura Benstede, il avait fait ce qu’il fallait. Ses agents à la cour de Norvège, à Oslo, avaient déjà reçu ses instructions. Tout se terminerait par une issue heureuse. Il sentit le sang monter dans sa gorge comme une nausée tandis que les ténèbres le submergeaient lentement.
Dans l’ombre des arbres, Sir James Selkirk reposa soigneusement l’énorme arbalète et, dégainant son épée, s’avança sans bruit vers les silhouettes allongées. Aaron était mort, effondré comme un enfant endormi, le visage contre terre. Benstede gisait sur le dos, mains tendues ; ses lèvres bougeaient silencieusement et ses yeux devenaient vitreux. Selkirk, debout, le regarda mourir.
— Vous voyez, Messire, murmura-t-il doucement, c’est moi qui avais raison ! C’est aujourd’hui que vous quittez l’Écosse !
Il jeta un coup d’oeil à la ronde. Il avait suivi les deux voyageurs dès leur départ du château d’Édimbourg. Cela avait été tâche aisée. Ils ne soupçonnaient rien et ne se doutaient donc de rien. Le chevalier avait cru qu’il lui faudrait attendre plus longtemps, mais quand il avait compris que ses proies avaient l’intention de dormir à la belle étoile dans un boqueteau isolé, il s’était dit qu’il ne devait pas laisser échapper pareille occasion. Il retraversa silencieusement le bois jusqu’à une petite clairière cachée par des bosquets. Le sol spongieux était facile à creuser et il eut tôt fait de préparer une fosse peu profonde où il traîna le corps des deux hommes. Il creusa également un endroit où enfouir selles et bagages après les avoir fouillés au cas où il y aurait eu quelque objet de valeur pour lui-même ou pour son maître. Puis il piqua les flancs des chevaux et des poneys débarrassés de leur harnachement, et ils partirent au petit galop dans l’obscurité grandissante. Il était sûr qu’ils trouveraient leur chemin vers un village ou une ferme dont les habitants auraient peine à croire à leur bonne fortune. Heureux que tout fût fini, Selkirk alla chercher son cheval et revint à Édimbourg. Il savait déjà que son maître préparait le brouillon de sa future missive à Édouard d’Angleterre, la réponse attristée aux questions escomptées d’Édouard sur « les lieux où pourrait se trouver son envoyé ». Après tout, ce genre d’accidents, pour reprendre le commentaire caustique de Wishart, n’était pas rare en Ecosse.
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