La couronne dans les ténèbres
poneys de bât et des chevaux. Ils allaient se rendre à Carlisle où il utiliserait ses mandats pour réquisitionner un navire rapide qui les amènerait en France. Là, il raconterait à Édouard tout ce qui était arrivé. Il savait que le roi comprendrait. Benstede remarqua que le bruit qui l’avait dérangé avait été causé par deux gamins qui jouaient avec des épées en bois devant les écuries. L’un était brun ; quant à l’autre, il le reconnut comme étant le fils du comte de Carrick, le jeune Robert Bruce. Il regarda le petit rouquin ébouriffé feindre et parer comme un danseur, faire tournoyer son épée en bois et en repousser, avec force cris et railleries, son pauvre adversaire dans un gros tas de crottin amoncelé dans un coin. Benstede, dans l’euphorie du moment, s’écria : «Bravo ! Bravo, mon garçon ! » avant de fouiller dans son escarcelle et d’envoyer une pièce d’argent rouler dans la cour. L’enfant repoussa ses cheveux en arrière et leva les yeux vers la fenêtre, grimaçant sous le soleil. Puis il s’avança lentement vers la pièce d’argent, la ramassa et la lança à son compagnon vaincu. Sans un mot de remerciement pour le cadeau de Benstede, il s’éloigna d’une démarche fière et sautillante. « Quel jeune coq arrogant ! chuchota Benstede. Lui et sa famille avec leur désir de grandeur et leurs rêves de couronne et de royauté ! » Benstede eut un petit sourire à l’idée que les rêves des Bruce ne se concrétiseraient jamais, puis, après un dernier coup d’oeil à la chambre, il descendit précautionneusement l’escalier à vis.
Les chevaux furent sellés, et peu après le silencieux Aaron et lui franchirent bruyamment le pont-levis. Un cavalier solitaire les attendait. Benstede reconnut Sir James Selkirk, l’homme de Wishart et le capitaine de la Maison du prélat.
— Eh bien, Sir James ! dit Benstede. Êtes-vous venu nous souhaiter un bon voyage ? Ou apportez-vous un message de votre maître ?
Selkirk hocha lentement la tête.
— Certainement pas, Messire ! Je reviens simplement au château, mais Monseigneur m’a laissé entendre que vous quittiez l’Écosse aujourd’hui même !
— Pas aujourd’hui ! répliqua jovialement Benstede. Il nous faudra au moins trois jours de bonne chevauchée pour atteindre la frontière. Vous devez vous réjouir de notre départ.
— Les visiteurs anglais, rétorqua Selkirk d’une voix tranquille, sont toujours les bienvenus. Votre compatriote, Messire Hugh Corbett, est déjà en route. Je vous dis adieu !
Benstede salua, éperonna son cheval et poursuivit son chemin. Ils contournèrent la cité d’Édimbourg, chevauchèrent dans une campagne accueillante en direction du sud-ouest, vers la frontière et la sécurité du château de Carlisle. C’était une belle journée d’été, les rayons du soleil brûlant perçaient les feuillages comme autant de lames tandis que la nature somnolait sous une brume de chaleur. Le soir venu, ils étaient toujours en rase campagne ; aussi Benstede décida-t-il de bivouaquer. Il désigna un boqueteau au loin.
— Nous passerons la nuit là-bas, annonça-t-il à son compagnon silencieux. Nous y dînerons et dormirons, et demain, nous poursuivrons notre route !
Puis il répéta ce qu’il avait dit avec des mouvements rapides et déliés des doigts et Aaron opina. S’approchant du bois, ils suivirent le sentier qui se rétrécissait en passant dans un creux. Ils traversèrent un petit ruisseau peu profond bordé de roseaux, dérangeant les libellules bleues qui s’attardaient dans la chaleur du soleil couchant. Benstede continua un peu avant de s’arrêter et de chercher du regard un bon coin où établir leur camp.
Satisfait de cette journée de marche, Benstede prit la gourde de vin attachée à la selle, enleva le bouchon et la leva bien haut pour que son doux contenu arrosât sa gorge sèche. Un carreau d’arbalète se ficha alors dans sa poitrine exposée. Benstede abaissa lentement la gourde et toussa sous la surprise, tandis que sang et vin mêlés s’échappaient de sa bouche. Il se retourna et chercha Aaron du regard, mais son compagnon silencieux était déjà mort, atteint en pleine gorge par un second carreau. Benstede glissa de sa selle, s’écroulant comme un rêveur ivre ; la gourde lui échappa des mains et le vin rouge gicla en cercles sur le sol, se mélangeant au sang jaillissant de sa bouche et de sa poitrine. Un oiseau
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