La couronne de feu
les enfants en les tenant sous bonne garde. Ils nous suivront jusqu’à Louviers puis nous les libérerons au bout de quelque temps. Quant aux autres...
Il fit passer le tranchant de sa main sur sa gorge, ajoutant :
– Il ne faut pas qu’un seul de ces hommes reste en vie. Rien ne vaut un bel exemple pour terroriser l’ennemi.
Rouen, février 1431
Aux longues nuits traversées par des présences confuses et bavardes succédaient d’autres nuits où s’ouvrait un gouffre sans fond, sans lumière, sans écho, hanté par le terrible silence de Dieu.
Dieu absent, Jeanne sentait son être se diluer comme dans un bain d’acide. Les jours s’ajoutant aux jours, les nuits aux nuits, chacun avec sa dimension d’éternité, accroissaient son impression de plonger insensiblement dans un non-être, de quitter son enveloppe terrestre pour se fondre dans un éther glacé. Elle demeurait indifférente aux injures, aux mauvais traitements, aux menaces d’être enfermée dans la cage de fer.
Un matin, à quelques jours du début des interrogatoires dont le premier était prévu pour le 21 février, des visiteurs se présentèrent après qu’elle eut fait sa toilette. C’étaient des dominicains dépendant du monastère dont Jean Lemaître était le prieur.
Un homme de haute taille, au front dégarni jusqu’au milieu du crâne et qui, dans son costume, ressemblait à une grosse pie, demanda qu’on la libérât de ses chaînes et lui dit :
– Je m’appelle Jean de La Fontaine, clerc du diocèse de Bayeux. Ceux qui m’assistent sont mes frères en religion. Tu n’as rien à redouter de nous, contrairement à d’autres qui ne te rendaient visite que pour te tirer les vers du nez.
Il lui tendit son crucifix.
– Pour te convaincre, j’engage mon honneur au nom du Christ. Me crois-tu ?
Jeanne hocha la tête en se frottant les poignets.
– Nous sommes envoyés par monseigneur Pierre Cauchon, ajouta le dominicain, afin de t’informer du déroulement du procès. Ce n’est pas simple... Pour résumer, il y aura deux parties dans la procédure : le procès dit d’office qui comporte l’instruction, l’enquête que l’évêque a fait effectuer dans ta province et les interrogatoires. Est-ce que tu me suis ?
Elle hocha de nouveau la tête.
– En second lieu débutera le procès dit ordinaire au cours duquel tu seras jugée. Il s’agit, je te le rappelle, d’un procès en matière de foi.
– Ma foi... balbutia Jeanne. L’aurait-on mise en cause ?
La Fontaine posa sa main sur son bras et poursuivit avec un sourire compatissant :
– Je suis persuadé, ma fille, de ta sincérité, mais c’est ainsi. La règle canoniale veut que l’évêque et l’inquisiteur siègent côte à côte. Tu sais qui est l’évêque. L’inquisiteur sera le prieur de mon ordre, Jean Lemaître. Ce seront tes seuls juges. J’ajoute que ce tribunal comportera un certain nombre d’assesseurs dont la fonction sera d’aider le tribunal, mais seulement à titre consultatif. Ils ne pourront sans y être invités participer aux débats. Le prometteur, ou le procureur si tu préfères, sera Jean d’Estivet. C’est un homme rude. Il ne te fera pas de cadeau.
– Ces assesseurs dont vous parlez, demanda Jeanne, qui seront-ils ?
– Des gens de conditions très diverses. On y trouve des prélats bénéficiers de Normandie et d’Angleterre, des chanoines, des maîtres en droit canon et en droit civil, des membres des tribunaux ecclésiastiques, des clercs de l’Université de Paris, et bien d’autres encore...
– Y aura-t-il des représentants venus de l’autre côté de la frontière, des Français de France ? J’en ai fait la demande.
– Elle a été repoussée par l’évêque. Il estime qu’on n’en a plus le temps.
– Je redoute ce procès pour une autre raison, dit Jeanne. Je risque de faire mauvaise figure, parmi ces grands personnages, moi qui ne sais ni A ni B, qui n’ai fréquenté que des soldats et des brigands.
– Rassure-toi, mon enfant ! Tu as suffisamment de bon sens et d’esprit de repartie pour faire front. Il ne faudra pas te laisser désarçonner mais répondre avec assurance. Ta conviction pourra mettre en échec tous ces chats-fourrés. Ah ! j’oubliais... On m’a confié la fonction de commissaire, comme je te l’ai dit, mais il faudra compter avec trois notaire de l’Officialité rouennaise. Tu auras souvent affaire à l’huissier Jean Massieu. Ce n’est pas un méchant homme. Il
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