La couronne de feu
commencer à se demander s’ils ne feraient pas mieux de lâcher leur proie pour que nous leur fichions la paix.
– Ils ne la lâcheront pas, dit Gilles, et il faudrait un miracle pour la délivrer. Jeanne en était capable. Pas nous...
Ils décidèrent de se partager la tâche : chacun à son tour partirait en campagne avec ses propres forces. Objectifs : terroriser les Anglais, leur occasionner le plus de pertes possible, se rapprocher de Rouen pour, à la première occasion, y tenter une incursion. La saison n’était guère favorable : on pouvait repérer un loup ou un chat sauvage à un quart de lieue sur un champ de neige. Alors, une compagnie... De plus le ravitaillement était aléatoire, la plupart des villages étant ruinés et désertés.
– Il va falloir, remarqua Gilles, veiller au grain dans les rapports de nos hommes entre eux. Mes Vendéens et tes Gascons ont tendance à se regarder en chiens de faïence. Il faut éviter les frottements et les bagarres, ce qui risquerait de compromettre nos projets.
La Hire suggéra à Gilles de lancer une première expédition sur Sotteville. Prendre cette modeste cité proche de Rouen d’une lieue serait donner un coup de pied dans la fourmilière. Gilles accepta la proposition sans rechigner. Il eût mal accepté de laisser partir son compagnon et de l’attendre en jouant aux cartes. Il laissa ses hommes se reposer une journée et partit la deuxième semaine de janvier, dans une bourrasque de neige.
Il ne lui fallut pas une journée pour parvenir dans les parages de Sotteville, non loin du méandre de la Seine et des faubourgs de la grande ville. Il divisa sa troupe en petites unités, les unes descendant le fleuve, les autres prenant à l’intérieur des terres.
La petite ville était calme. Par un paysan surpris à bûcheronner on apprit que la garnison comptait une cinquantaine de soldats et que les remparts étaient bien gardés, sauf du côté du fleuve où un pan de muraille s’était écroulé à la suite d’un gel récent.
– C’est par là, décréta Gilles, que nous entrerons dans la ville. Cinquante hommes... pas de quoi nous donner des frissons.
L’un de ses lieutenants lui ayant demandé si l’on ferait de Sotteville une base d’opérations, il répondit :
– Ce serait tenter le diable. Si nous nous accrochions à cette bicoque nous aurions deux jours plus tard des centaines de Godons venus en renfort de Rouen. Notre but est pour le moment de flanquer la frousse à l’ennemi.
Il ajouta :
– Pillage autorisé, mais pas de violences inutiles contre les habitants, pas de viols, pas de prises encombrantes. Jeanne n’aimerait pas ça !
Ils parvinrent à la tombée de la nuit à escalader les moellons menant à la brèche. Des hommes partis en éclaireurs égorgèrent par surprise les sentinelles qui arpentaient le chemin de ronde. Parvenir jusqu’au château ne fut ensuite qu’une promenade, rues et places étant désertes en raison du froid et de l’heure avancée. Un bref combat sous le châtelet livra le passage du pont et permit d’investir la petite forteresse. La porte du donjon s’étant refermée on y entassa des fagots auxquels on mit le feu. Alors qu’elle était à demi consumée, un madrier permit de l’enfoncer. On n’accéda aux étages, à partir de la salle d’armes, qu’au prix de quelques sacrifices.
Gilles, les mains gluantes de sang, parvint le premier, suivi de son capitaine, Thierry, dans la salle haute. Il y trouva le capitaine, un Anglais nommé Stevens, son épouse, ses enfants et une dizaine de soldats l’arme au clair, montrant les dents. Un grand feu brûlait dans la cheminée devant laquelle une table était dressée.
– Nous n’étions pas attendus, dit Gilles, goguenard, mais si vous nous invitez... Je meurs de faim, capitaine...
– Herbert Stevens.
– Eh bien, sir Herbert, dites à vos hommes de mettre bas les armes pour éviter un nouveau carnage.
Stevens fit signe à ses hommes de jeter leurs armes dans le fond de la salle et dit à Gilles :
– J’aimerais savoir à qui j’ai affaire.
– Gilles de Rais, maréchal de France, sir Herbert.
– J’ai beaucoup entendu parler de vous, et peut-être nous sommes-nous rencontrés. J’étais au siège d’Orléans, dans la bastille Londres. Permettez-moi de vous dire, monsieur le maréchal, que cette agression est indigne de vous.
– Pardonnez-moi, sir Herbert, mais mon secrétaire a omis de vous annoncer ma visite. Le
Weitere Kostenlose Bücher