La couronne de feu
feriez courir au tribunal en vous abstenant ? Tout simplement de rendre ce procès illégal. Il doit y avoir pour m’assister un membre de la Sainte Inquisition : vous en l’absence de Jean Graverend...
– Je serai donc présent, sous réserve d’un accord de mon supérieur.
– Faites vite, mon ami ! dit l’évêque.
Il ajouta à l’intention de l’assemblée des clercs :
– Je tiens à faire état d’une double requête formulée par la Pucelle : elle est décidée à comparaître par-devers nous à condition que des clercs originaires du royaume de Bourges siègent dans notre corps en nombre égal au nôtre. Elle souhaite également assister à la messe avant sa comparution. Nous lui avons fait connaître notre opposition.
– Peut-on connaître vos raisons, monseigneur ?
– Les raisons, monsieur l’inquisiteur, sont que cette hérétique de Jeanne cherche à nous faire perdre un temps précieux et qu’elle voudrait faire croire, en réclamant le secours de la religion, qu’elle est animée par la foi. J’ignore qui lui a donné ces conseils. Je la sais incapable, ignorante qu’elle est, de les avoir imaginés. Cela sent la traîtrise. J’en aurai le coeur net !
Il fit taire d’un geste les protestations indignées qui s’élevaient de toutes parts contre ce manquement à la solidarité du tribunal. Il conclut :
– Vous réclamiez des raisons qui puissent justifier mon attitude sévère envers cette fabulatrice de Jeanne. Êtes-vous satisfait ?
– Je devrai bien m’en contenter... soupira Lemaître.
13
La neige, la nuit, le sang
Louviers-Rouen, janvier 1431
Lorsqu’il arriva aux portes de Louviers, Gilles eut un haut-le-coeur : cette aimable cité des bords de l’Eure n’était que décombres ; avant de se retirer sous les assauts de Dunois, les Godons l’avaient incendiée.
Il n’avait sous ses ordres que deux compagnies de vétérans triés sur le volet pour leur courage, leur résistance et leur fidélité. On était loin de l’allure des troupes qui cheminaient derrière la bannière de Jeanne, sous une forêt d’oriflammes, dans l’été de Patay. Plus de serviteurs, de psalette, de petits pages, de damoiselles, mais un bloc de force inébranlable, fait pour les coups de main plus que pour les batailles chevaleresques. De chef d’armée, le maréchal Gilles de Rais était devenu chef de bande. Il s’était fait la main, peu avant, dans les parages de Champtocé, sur un convoi de Madame Yolande, et l’avait dispersé.
On était aux premiers jours de janvier et le froid était vif au point que l’Eure avait gelé et qu’on pouvait la traverser à cheval. Aux nuits de neige succédaient des jours blancs et glacés.
Dunois était ailleurs, occupé à traquer les patrouilles anglaises qui s’aventuraient dans les environs de la grande forêt de Bord et le long de la Seine, au nord, près de Pont-de-l’Arche, où elles surveillaient le passage du fleuve. C’est La Hire qui accueillit son ancien compagnon. Ils n’avaient jamais eu beaucoup de sympathie l’un pour l’autre mais s’estimaient pour leurs mérites réciproques : La Hire, soldat brutal et vulgaire, Gilles passionné pour les livres, la musique et les mystères.
La Hire avait trouvé refuge pour lui et ses hommes dans l’ancienne Maison de Ville pillée et à moitié incendiée par les Anglais. Il dit en serrant la main de Gilles :
– Me voilà devenu le premier magistrat de cette ville ou de ce qu’il en reste. Désolé de t’accueillir sans la fanfare et les honneurs. Nous nous rattraperons lorsque nous aurons délivré Jeanne.
Croyait-il vraiment à ces propos ? Gilles en doutait. Des renseignements collectés en cours de route il avait conclu qu’il serait difficile de pénétrer dans Rouen et plus encore dans la forteresse de Bouvreuil, mais il partageait avec La Hire une conviction : il fallait tenter l’impossible pour arracher la Pucelle aux Anglais. Il gardait vivace en lui le remords de ne pas l’avoir assistée dans son expédition vers Compiègne. Avec lui auprès d’elle Jeanne n’aurait pas été prise.
Assis autour d’une table spartiate, ils évoquèrent les velléités du roi Charles pour mettre sur pied une expédition, de ce petit berger du Gévaudan dont il faisait mine de s’être entiché et qu’il prétendait mener sur les chemins de la Pucelle.
– Dunois fait du bon travail, dit La Hire. Il sème la terreur jusqu’aux portes de Rouen. Les Godons doivent
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