La couronne de feu
gardiens de ne pas t’importuner. Les audiences ne reprendront que dans trois ou quatre jours. Tu auras le temps de reprendre des forces pour te défendre...
Il l’embrassa sur le front.
– Maître Guillaume, dit d’Estivet, vous aurez à rendre compte de votre conduite !
– Et vous c’est avec le Ciel que vous devrez vous expliquer...
Lorsque la quatrième audience s’ouvrit, Jeanne se sentait de nouveau gaillarde.
Elle était restée en prière des heures durant, alors que les cloches bourdonnaient en essaim au-dessus de la ville. Ses voix, celle de Catherine notamment, l’avaient visitée, lui recommandant de garder courage et de prendre son mal en patience, l’heure de sa délivrance étant proche.
Maître Jean Beaupère tourna en grattant son moignon autour de l’escabeau sur lequel elle était assise. La salle du Parement était chauffée par un soleil qui sentait le printemps. Lorsque le théologien lui demanda comment elle se sentait à la suite de son indisposition, elle répondit :
– Vous le voyez bien : du mieux que je puis...
– Je dois, dit-il, vous interroger au sujet de vos apparitions. Il faudra me répondre avec précision. Comment vos saintes vous apparaissent-elles ?
À la surprise du tribunal elle déclara :
– J’ai la permission de répondre à cela.
Elle décrivit ses saintes richement vêtues, couronnées de diadèmes de pierres précieuses. Soudain, excédée, elle ajouta :
– D’ailleurs tout cela est consigné dans le livre de Poitiers, par les clercs de l’Université fidèles au dauphin qui m’ont interrogée.
On lui demanda néanmoins de poursuivre sa description. Parvenait-elle à les différencier ? Mais oui ! Elles s’annonçaient par leur nom et la manière dont elles faisaient leur révérence.
– Est-ce le Ciel qui vous a incitée à partir en campagne pour délivrer Orléans ?
– J’aurais préféré être écartelée à quatre chevaux plutôt que de quitter ma famille sans la permission du Ciel !
– Et l’habit d’homme, Jeanne, est-ce le Ciel qui vous a conseillé de le porter ?
Elle haussa les épaules.
– L’habit d’homme... pourquoi insister là-dessus ? Quelle importance cela peut-il avoir pour votre procès ? Ce sont mes compagnons qui m’ont donné l’idée de m’en vêtir, mais je ne l’ai fait qu’en accord avec mes anges.
Beaupère aiguilla l’interrogatoire sur le fameux secret du dauphin : cet entretien mystérieux qu’elle avait eu avec lui, dans la grande salle de Chinon, le soir de leur rencontre. Quelles révélations lui avait-elle faites ?
– Je ne vous en dirai rien, du moins pour aujourd’hui.
L’évêque intervint pour déclarer avec un sourire :
– Le soi-disant dauphin doit se souvenir du Livre de Tobie, où il est dit : Il est bien de cacher le secret du roi ...
Il fallait bien en venir à l’affaire de l’épée de Fierbois. Après qu’elle eut relaté cette découverte miraculeuse, le promoteur d’Estivet s’écria :
– Cette épée, Jeanne, tu l’as découverte par sorcellerie, en invoquant le diable. Tu as usé d’un charme, c’est certain !
Elle se contenta de hausser les épaules. Quant à l’épée qu’elle avait prise à un soldat bourguignon devant Paris, cette question la fit sourire.
– Cette épée, dit-elle, je l’ai portée jusqu’à Compiègne. C’était une belle arme, propre à donner de bonnes buffes et de bons torchons, comme on dit dans mon pays, mais je n’ai jamais tué personne !
Des rires fusèrent dans l’assistance.
On pouvait se demander ce qui resterait de ces interrogatoires décousus, de ces redites lassantes, de ces interminables audiences. Rien ou peu de chose. Jeanne avait flairé tous les pièges et les avait évités. Il y avait de quoi susciter la hargne de ses juges.
Lorsque l’évêque Cauchon vit entrer dans son cabinet maître Jean Lohier, il ne put se défendre d’un sentiment d’inquiétude.
Ayant appris que ce grand personnage, connu de toute la province et au-delà, était de passage à Rouen, attiré peut-être par le bruit fait autour du procès, l’évêque tint à le rencontrer et à le faire participer à une audience. Le notable avait demandé et obtenu copie des interrogatoires.
Un regard suffit à l’évêque pour comprendre que Lohier avait des choses graves à lui confier. Jambes longues, buste bref, bras ténus armés de longues mains fines, ce notable ressemblait à un héron aux ailes
Weitere Kostenlose Bücher