La couronne de feu
déplumées.
– Eh bien, maître Jean, lança l’évêque avec une voix qui trahissait son impatience, que dites-vous de la manière dont nous menons ce procès ?
– Je vais être franc avec vous, monseigneur, répondit le visiteur. Tout cela ne vaut rien ! Votre beau procès, comme vous dites, est nul !
– Et pourquoi cela, je vous prie ?
Lohier, homme d’ordre et de logique, habitué aux comptes, répondit :
– Primo , ce procès préliminaire pèche par sa forme. Il fallait, pour qu’il s’ouvrît dans les règles, fournir des informations préalables sur les présomptions de culpabilité.
– Tenez-vous pour rien l’enquête que j’ai ordonnée dans la province de la Pucelle ?
– Ce fut une enquête menée en dépit du bon sens, incomplète, partisane. Je me suis laissé dire que l’on en avait dénaturé les résultats.
– Je ne vous permets pas ces insinuations, maître !
Jean Lohier ajouta sans se laisser démonter :
– Secundo , ce procès se déroule non pas en public mais à huis clos, au château de Bouvreuil. Cela signifie que les assesseurs ne sont pas libres de donner leur opinion sans risque pour leur sécurité.
– Vous vous trompez ! Chacun peut s’exprimer à sa convenance...
– ... mais à ses risques et périls ! J’étais dans l’assistance et j’ai entendu ce qui se disait. Tertio . Plusieurs personnes que ce procès touche directement n’ont pas été citées à comparaître. Le roi de France n’a personne pour le représenter.
– C’eût été inutile ! bredouilla l’évêque. Charles n’aurait pas répondu à notre citation et n’aurait envoyé personne. De plus, ces démarches auraient retardé la procédure.
– Il vous tarde donc tant d’envoyer cette pauvre fille au bûcher ?
– C’est plus que je ne puis supporter ! Maître Lohier, en avez-vous bientôt fini ?
– Pas tout à fait, monseigneur. Quarto ... Jeanne est une fille toute simple, nullement au fait des subtilités de ses juges. Vous la laissez sans avocat et sans information sur la procédure. C’est pour toutes ces raisons que je vous répète que votre procès ne vaut rien !
– Vous me répondrez de vos insolences, monsieur le censeur !
– Je sais ce que je risque, monseigneur, mais rien ne pourrait m’empêcher de proclamer ma vérité. Vous tentez de prendre cette malheureuse en défaut non sur des faits, mais sur les paroles que vous lui arrachez par malice. Vous et votre tribunal agissez par haine plus que par esprit de justice. Votre intention est de faire à tout prix mourir cette fille. N’attendez pas de moi que je cautionne ce comportement odieux ! J’ai bien l’honneur...
À peine Jean Lohier eut-il tourné les talons, l’évêque, encore sous le choc de ce déluge de griefs, réunit son conseil et déclara en s’épongeant le front :
– Je vous ordonne de fuir toute relation avec ce rebelle, ce traître, cet hérétique ! Il voudrait faire accroire que notre procès devrait être annulé et repris sur d’autres bases. Je vais informer le gouverneur, le Régent, le cardinal de ce comportement ignoble, demander qu’on mette cette mauvaise tête au secret.
– Hélas ! soupira Nicolas Loiseleur, nous ne pouvons rien contre lui. Touchez un cheveu de sa tête et vous aurez un soulèvement en Normandie !
– Quoi qu’il en soit, conclut l’évêque, nous ne changerons rien à notre manière de procéder. Les interrogatoires reprendront demain, et pas sur la place publique comme le voudrait ce trublion !
Rouen, mars 1431
Chaque jour, en traversant la cour pour se rendre à l’audience, précédée par maître Massieu et encadrée par deux soldats, Jeanne peut constater que l’enfant royal se tient à sa fenêtre, toujours la même, peut-être celle de sa chambre, et toujours au même moment. Comment s’y prend-il pour échapper aussi régulièrement à la surveillance de ses proches ? Parfois il lui sourit ou lui fait un signe de la main. Un matin, alors que le cortège longeait la façade des appartements royaux, elle l’a vu cracher. Sur qui ? sur elle, sur l’huissier, sur les gardes ? Que peut-on bien lui raconter sur elle ? Peut-être du bien un jour et du mal le lendemain. Elle ne le saura jamais. Elle s’arrête un instant, sourit et s’éloigne. Ils ont dix ans de différence : lui un enfant et elle une adolescente prolongée. Tous deux prisonniers : l’un de rideaux de soie, l’autre de la pierre et des chaînes.
Lors de
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