La couronne de feu
et, ne gardant que sa huque sur sa chemise et ses chausses, se rendit à la cathédrale accompagnée de ses deux frères, Pierre et Jean : ils ne l’avaient pas quittée depuis Orléans mais n’entretenaient avec leur soeur que des rapports distants depuis qu’elle leur avait reproché de ne lui emboîter le pas que par intérêt et gloriole. Elle avait appris que le coeur du connétable Bertrand Du Guesclin avait été déposé en ces lieux et s’était promis de se recueillir devant cette précieuse relique que les moines avaient dérobée au vandalisme des Godons. Elle se fit présenter par un chanoine l’urne de bronze cachée derrière l’autel d’une chapelle latérale et resta un long moment en prière.
Alors qu’elle se relevait sur un dernier signe de croix après avoir embrassé le reliquaire, une voix murmura dans son dos :
– Ma fille, j’apprécie une telle dévotion. Si vous le permettez, je vous guiderai pour la suite de votre visite. Je suis le père abbé du monastère voisin.
Ils firent de conserve le tour des tombeaux des rois et des reines, des reliques qui avaient échappé aux pratiques simoniaques ainsi qu’à la rapacité des occupant précédents : une écharde de la Vraie Croix, les langes de l’Enfant Jésus, un fragment de la cruche figurant aux noces de Cana, une écuelle de bois ayant contenu la mixture qui avait sauvé Saint Louis d’une affection de la rate...
– Votre venue, dit l’abbé en la reconduisant, nous est sensible pour deux raisons : la première est que la sainte fille que vous êtes ait tenu à consacrer dès son arrivée une visite à notre chère basilique ; la seconde : nous étions las des incursions que les Godons font sur nos domaines, au point de nous réduire à la disette. Nous vivons dans la misère, si l’on peut appeler cela vivre. Nous devons mendier la farine auprès d’une population réduite à une centaine de familles presque aussi misérables que nous. Nos chers frères nous abandonnent les uns après les autres pour aller se réfugier à Paris où ils mènent une vie pitoyable et dissolue. Jeanne, Dieu nous aurait-il abandonnés lui aussi ?
Au retour, elle décida de se séparer d’Aspasie qui l’avait déçue : elle était nonchalante, paresseuse et rétive ; elle la fit renvoyer à son écurie originelle.
La ville présentait un aspect sinistre : pas une maison sur dix n’avait d’occupant ; les négociants, n’ayant plus de marchandise à proposer aux chalands, avaient fermé boutique ; dans les rues désertes des chiens errants s’acharnaient sur de rares tas de détritus, relayés la nuit par des bandes de loups sortant des forêts de Montmorency et de Saint-Germain. La rue principale où, quelques années auparavant, se tenait la célèbre foire du Lendit, présentait un spectacle de désolation : les bourgeois ayant quitté Saint-Denis pour Paris, leurs demeures étaient occupées par des mendiants, des brigands, des filles de joie et des enfants affamés.
Jeanne eut la surprise de voir des mères de famille venir la solliciter de bénir leur nouveau-né et le tenir sur les fonts baptismaux. Ainsi qu’elle l’avait vu faire à Domrémy, elle versa sur leur front une goutte de cire fondue coulant d’un cierge.
– Que signifie cette pratique ? s’étonna un curé. Il n’est pas dans nos coutumes de baptiser les nouveau-nés à la cire chaude. N’y a-t-il pas de la sorcellerie là-dessous ?
– Je n’y vois pour ma part qu’une pratique religieuse inspirée par le Ciel. Ce cierge que vous avez allumé, n’est-il pas béni ?
Les remparts de Paris étaient trop proches pour que Jeanne et ses compagnons s’attardent dans cette cité inhospitalière. Dès le lendemain de son arrivée, elle prit, accompagnée de La Hire, d’Alençon et d’une escorte de cavalerie, la route de la capitale. La voyère qui traversait la plaine la conduisit, sous une pluie fine, au pied des hauteurs de Montmartre couronnées de moulins à vent et d’une imposante abbaye de femmes. L’émotion qui lui étreignait le coeur ne la privait pas de rester vigilante : à diverses reprises elle avait aperçu des groupes de reconnaissance qui chevauchaient tantôt sous les bannières aux léopards, tantôt sous celles de Bourgogne ; elles s’immobilisaient, observaient l’allure et la direction de la colonne avant de détaler.
Passé le clos et la léproserie de Saint-Lazare qui faisaient face, de part et d’autre de la route, à
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