La couronne de feu
complot qui se tramait contre l’évêque de Thérouanne, Louis de Luxembourg, chancelier d’Angleterre, qui remplaçait son frère Jean au gouvernement de Paris, le capucin voulut en savoir plus et se retrouva un jour attablé, rue Saint-Antoine, à l’auberge de l’Ours, bien décidé à accompagner de fanfares bibliques l’action des conjurés. On lui fit discrètement comprendre qu’il se trompait d’adresse : ce grand bavard eût risqué, par une indiscrétion, de compromettre le mouvement insurrectionnel.
Déçu mais non aigri par cette éviction, il poursuivit son action purificatrice, son lieu de prêche favori restant le cimetière des Innocents. Il se hissait sur l’escabeau qu’il tenait accroché dans son dos et, dressé contre la fresque de la Danse macabre, se lançait dans ses vaticinations. Depuis qu’il avait admiré les oeuvres de Jean de Bruges consacrées à l’Apocalypse, il avait compris que sa vie et sa foi seraient consacrées à traquer l’Antéchrist, qu’il se manifeste sous la forme d’une bête immonde ou d’une créature séduisante. Rencontrant Jeanne, il avait songé un moment qu’il tenait sa proie ; il avait vite déchanté : Jeanne était Fille Dieu, comme elle disait, pure comme l’eau de roche.
Il s’apprêtait à déclencher sa grande offensive purificatrice en renouvelant les autodafés de futilités qui, deux ans auparavant, l’avaient fait bannir de la capitale, quand le prévôt le fit saisir manu militari au moment où il distribuait à des enfants des médailles d’étain portant l’image de la Pucelle. Cette imprudence qui relevait de la provocation le conduisit devant le tribunal du Châtelet, qui, avant de l’expulser une nouvelle fois, lui promit le bûcher s’il persévérait.
Au soir du premier assaut contre Paris, Jeanne eut la surprise de le voir reparaître, la mine sombre, l’oeil chargé d’orages, pestant :
– Le grand dragon... Je n’ai pu l’affronter mais je sais qu’il se cache dans cette Babylone perdue de vices ! Je respire son odeur de soufre. Ah, Jeanne ! malheur à la terre et à la mer car Satan est remonté des enfers ! Il est animé d’une grande fureur car il sait qu’il lui reste peu de temps à pervertir les âmes avant le retour du Seigneur.
Jeanne, maîtrisant à grand-peine une envie de s’esclaffer, lui répondit qu’elle se mettrait à son service pour le traquer et qu’à eux deux, sous la bannière du Christ, ils en viendraient à bout. Elle ajouta :
– Cependant vous faites erreur en imaginant que le démon a pris l’apparence d’une seule créature. Il habite le corps de milliers, de millions d’hommes. On les reconnaît aisément : ils portent sur la poitrine la croix rouge des Bourguignons...
Saint-Denis, Paris, septembre 1429
Après mûres réflexions, hésitations, conflits avec son entourage, Charles avait pris sa décision : pour ne pas risquer de voir l’armée de Jeanne fondre sous les murs de Paris en pure perte, il avait précédé ses propres forces jusqu’à Saint-Denis.
Les termes de l’accord sibyllin conclu avec Philippe l’obsédaient. On avait décrété une suspension et abstinence d’armes jusqu’à Noël pour les contrées situées au nord de la Seine, à l’exception de Paris que Philippe se réservait de mettre en défense contre les Anglais s’ils décidaient de s’y replier au retour de la Normandie (ce qui paraissait peu probable) et contre les Français, qu’il décidât de leur résister ou de leur ouvrir ses portes (ce qui semblait exclu). Cette manoeuvre obscure sentait le piège. En progressant vers Paris Charles avait l’impression de chevaucher sur un pont aussi pourri que le parquet de La Rochelle, qui avait failli jadis l’engloutir en s’effondrant.
L’élan d’enthousiasme de la Pucelle en le voyant franchir les portes de Saint-Denis, loin de le conforter, lui fit courir des frissons dans le dos. Alea jacta est ! se disait-il. La Seine, où Jeanne avait déjà mouillé la pointe de ses houseaux, était son Rubicon.
Averti de son arrivée, Louis de Luxembourg, de nouveau gouverneur de Paris, lui délégua des émissaires qui lui tinrent des propos pleins d’aigreur : il eût été imprudent et prématuré d’engager une action contre la capitale ; il convenait de laisser les autorités et la population décider ou non de laisser le roi Charles y entrer librement. « Le temps, surtout, songea Charles, de renforcer les défenses et
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