La couronne de feu
d’alerter les Anglais de Normandie... »
Il fit montre d’arrogance, parla haut et fort, renvoya les émissaires sans leur donner la moindre assurance de maintenir une suspension et abstinence d’armes dans les jours à venir.
Le roi mit son armée aux champs dans les prairies de La Chapelle et convoqua Jeanne. Il eut la surprise de l’entendre proclamer qu’à la réflexion il fallait ajourner toute action, ses voix lui ayant dicté cette consigne. Passer outre, attaquer sans sa présence, Charles n’y songeait pas.
Alors qu’elle était occupée à inspecter le corps d’archers et d’arbalétriers de Gilles de Rais, Jeanne surprit une rixe violente entre Gascons et Poitevins, qui risquait de dégénérer en tuerie.
En apprenant que cet incident était motivé par la concurrence de deux sergents qui se disputaient une garce embarquée à Compiègne, elle prit la mouche, intervint, ramena l’ordre non sans peine et mit aux arrêts les deux antagonistes. Quant à la pauvre garce objet de ce charivari, elle lui donna quelques sous, un peu de nourriture et la pria de s’en retourner.
Elle regagnait sa tente, encore frémissante de colère, lorsqu’elle trouva en travers de son chemin une créature fardée comme une maquerelle, au visage de gorgone coiffé de cheveux rouges.
– De quoi se mêle cette pécore ? s’écria-t-elle. La fille que tu viens de chasser était des nôtres. Tu vas la rappeler illico, sinon tu auras affaire à moi, Cathy la Rouge.
– Eh bien ! répondit Jeanne, tu vas sur-le-champ prendre le même chemin que cette garce. Tu peux préparer tes frusques.
– Et toi, Jeanne, attends-toi à recevoir une rebuffade dont tu te souviendras jusqu’à la fin de tes jours !
La maquerelle retroussa ses manches et s’avança vers la Pucelle, au milieu du cercle formé par les soldats qui ricanaient sous cape. Jeanne tira son épée et en porta la pointe sur la virago en criant :
– Un pas de plus et tu es morte !
Cathy s’esclaffa : Jeanne n’oserait pas ; trop de curieux autour d’elles qui la jugeraient sévèrement, elle qui prétendait n’avoir jamais occis personne. Elle fit un pas en avant et Jeanne en fit un en arrière. Soudain, avec un cri de rage, elle porta un coup de plat d’épée sur les reins de la garce qui poussa un gémissement puis, rompant, prit ses jambes à son cou, poursuivie par la Pucelle qui la rattrapa et se mit à cogner sur elle avec une telle force que la fusée de son arme se rompit.
Renonçant à poursuivre la gourgandine, Jeanne s’immobilisa quelques instants avec entre ses mains les deux tronçons de l’épée de Fierbois qu’elle portait depuis son départ de Chinon pour Orléans. Hébétée, elle murmurait au milieu des rires qui éclataient dans le groupe des soldats :
– Mauvais signe... Mon épée... Ma vieille compagne...
Elle posa ses lèvres sur la lame constellée de cinq étoiles tombées du blason d’un preux des temps jadis dont elle ignorerait toujours le nom, qui peut-être l’avait portée aux croisades de Palestine. La rage au ventre, la tristesse au coeur, elle retourna vers sa tente.
Alerté par l’esclandre, Jean d’Alençon l’y attendait.
– Mon beau duc, gémit-elle, je ne puis plus supporter la présence de ces garces qui suivent notre armée. Elles insultent à la sainteté de notre mission. J’exige que, le jour où nous passerons à l’attaque, plus une seule de ces créatures ne reste dans nos chariots.
– Tu sais bien que c’est impossible ! protesta Jean. D’ailleurs le moment serait mal choisi. Cette garce sera expulsée parce qu’elle t’a manqué de respect, mais il faudra en rester là. Ces femmes mangent notre pain et se conduisent mal, c’est vrai, mais elles stimulent l’ardeur de nos soldats. Les renvoyer serait dangereux et inutile : on verrait sans tarder reparaître ces créatures. Pour changer cet état de choses il faudrait transformer le coeur des hommes. Alors, patience...
– Ma vieille épée de Fierbois, dit Jeanne, s’est rompue entre mes mains. Sans elle, je me sens orpheline.
– Mais aussi, plaisanta Jean, pourquoi tirer l’épée contre une aussi misérable créature ? Un gourdin aurait suffi...
Prudemment, Charles décida de s’abstenir de participer en personne à ce siège : c’était l’affaire de Jeanne et du Parti des Ardents, ces têtes folles qui se lançaient sur les murs de Paris ainsi qu’une tribu en armes contre Babylone. Comme il avait
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