La couronne de feu
nommaient ses capitaines et où étaient leurs enseignes ? que venait-on faire là ? Ils auraient volontiers ouvert leurs portes à une arme royale normalement constituée mais ils renâclaient à héberger cette bande de pouacres avec laquelle la Pucelle s’était acoquinée.
Pestant contre un accueil aussi humiliant, Jeanne fit camper sa troupe dans l’île qui précédait la ville vers le sud, dans l’attente d’un revirement consécutif à une négociation. Elle demanda le lendemain à être reçue par l’échevinage ; on ne daigna pas lui répondre. En revanche, elle vit se présenter au camp un vieux moine barbu comme un ermite, aux yeux chassieux sous la cuculle, qui tremblait à l’idée de se trouver en présence de la Pucelle. Il apprit à Jeanne que le chef de la communauté religieuse des Carmes, le père Pierre d’Allée, âme de la conjuration contre les Anglo-Bourguignons, avait été arrêté, supplicié et exécuté.
Sur ce qui s’était passé à Paris à la suite de la rafle qui avait suivi cette arrestation, le religieux n’avait que des renseignements succincts. Les autorités avaient emprisonné cent cinquante personnes, pour la plupart des notables. Les chefs de la conjuration avaient eu la tête tranchée et leur corps débité en quartiers.
Dix mois auparavant, alors qu’elle arrivait à Saint-Denis et préparait avec Jean d’Alençon le premier assaut contre la capitale, Jeanne avait reçu la visite de cet aubergiste de la rue Saint-Antoine qu’on appelait le Seigneur de l’Ours. Elle s’informa auprès du vieux carme du sort réservé à ce géant jovial qui l’avait confortée dans son projet.
– Je l’ignore, dit le moine. Peut-être était-il parmi les victimes des représailles, peut-être non. Je l’ai bien connu : c’est lui qui livrait le vin du prieuré. Il nous divertissait par ses plaisanteries, parfois un peu gaillardes, et nous fournissait des informations sur le complot. C’était un malin : il a fort bien pu échapper aux mailles du filet.
Baretta, soucieux, se demandait si l’on allait attendre longtemps une décision des bourgeois : allaient-ils enfin ouvrir leurs portes et accepter de leur vendre des vivres ?
– Si nous n’obtenons rien de ce que nous demandons, dit Jeanne, nous lèverons le camp demain. Nous ne pouvons entamer un siège qui nous retarderait et nous causerait trop de pertes, pas plus qu’attendre des secours qui ne viendront pas.
Au soir tombant elle escalada la levée du fossé surplombant la Seine du côté des remparts, s’assit dans l’herbe, le regard rivé sur les flèches de l’église Notre-Dame qui pointaient au-dessus des murailles et semblaient jouer avec un joli nuage de printemps. Des odeurs de soupe commençaient à se répandre dans l’air tiède.
Alors qu’elle se relevait elle sentit se creuser en elle une sorte de vertige qui la maintint clouée au sol. Elle se dit que ce malaise pouvait être dû à la fatigue d’une longue chevauchée et aux jeûnes qu’elle avait observés durant la vigile de Pâques. C’était tout autre chose. Elle ne sentait plus le sol sous son corps ni le poids de son corps lui-même ; elle ne percevait que des lignes floues, des couleurs estompées, des lumières dansantes. Soudain, alors qu’il lui semblait quitter terre, elle vit se dessiner des formes étranges, animées de mouvements souples. Dans un brouillon de voix elle reconnut celles de ses saintes.
– Jeanne, lui dit Marguerite, prends garde à toi. Une menace pèse sur ta tête.
– Mon enfant, ajouta Catherine, tu seras bientôt prise. Ce sera avant la Saint-Jean d’été.
– Si vous dites vrai murmura Jeanne, accordez-moi en grâce de me faire mourir plutôt que de subir de longues épreuves en prison.
Qui donc lui répondit et que lui dit-on ? Elle ne put le savoir car les deux voix s’enchevêtraient comme la laine d’un fuseau. Elle crut pourtant comprendre qu’on lui disait :
– Il fallait qu’il en soit ainsi... Ne prends pas peur... Dieu t’aidera...
Elle se disposait à réclamer de nouvelles prédictions – où cela se produirait-il ? qui devait-elle redouter ? – quand un écran noir lui voila la vue. Une voix lui parvint comme du creux d’une citerne :
– Eh bien, Jeanne, vous dormiez ? On vous attend pour la soupe.
Elle se releva en chancelant, tomba dans les bras de son intendant en gémissant :
– Oh, Jean ! mon ami... Si vous saviez... Elles sont revenues.
– Qui donc,
Weitere Kostenlose Bücher