La couronne de feu
! Je te rassure : tu seras traitée selon ton rang. Mais, dis-moi : tes voix... elles ne t’avaient pas prévenue ? Serais-tu tombée en disgrâce ?
Devant le regard furibond de Jeanne il toussota et reprit son sérieux pour déclarer :
– Je sais quelqu’un qui sera aussi ravi que moi de te rencontrer : messire Jean de Luxembourg. Il est à Margny. Je viens de l’informer de notre prise. Il doit danser de joie.
On hissa la prisonnière sur son cheval en lui liant les mains dans le dos, pour remonter la pente raide menant au village. Le duc Jean l’attendait dans une cour de ferme, au milieu de la volaille et des pourceaux. Il donna des ordres pour qu’on la libérât de ses entraves et qu’on lui servît du vin. Comme pour le bâtard elle fit un pas en arrière. Prévenue de la monstruosité du personnage, elle n’aurait pu malgré tout l’imaginer tel qu’il venait de lui apparaître : un visage grêlé, couturé de plaies, avec, à l’emplacement du nez, un double orifice montrant l’os ; il était borgne mais son oeil valide pétillait de plaisir. Il dit d’une étrange voix sifflante :
– Jeanne, je rends hommage à ta hardiesse mais je déplore qu’elle te conduise à commettre des imprudences et des folies. Oser nous attaquer avec quelque deux cents hommes, pour la plupart des bandits, cela n’a pas le sens commun ! Tout devait finir ainsi. À trop braver le sort...
– Vous ne m’auriez pas à votre merci, messire, répondit-elle avec aplomb, si la retraite ne m’avait pas été coupée. Je ne sais par qui mais je le saurai !
– Par Guillaume de Flavy, sans aucun doute. En bonne logique, s’il n’avait pas fermé la porte nos hommes auraient pu entrer en force dans la ville. Il a ainsi évité le pire.
– Flavy... fit Jeanne, songeuse. Je ne suis pas certaine qu’il ait agi de son propre chef. Je crois plutôt à une manoeuvre de Regnault pour se débarrasser de moi.
– Fort possible... Nous le saurons peut-être lorsque nous aurons pris la ville, ce qui ne saurait tarder.
Elle répéta la question qu’elle avait posée au bâtard : qu’allait-on faire d’elle ?
– Je vais être franc avec toi, dit le comte. J’ai des ennuis d’argent qui m’empêchent de dormir. Je vais donc passer un marché avec le duc Philippe ou avec nos amis anglais. Peut-être même avec ton roi, s’il se montre généreux, ce dont je doute. En un mot je vais tenter de tirer de ta capture une honnête rançon.
– Je vous en prie, dit-elle, ne me vendez pas aux Anglais. Je préférerais mourir.
Elle porta d’une main tremblante le gobelet à ses lèvres et, brisée d’émotion et de fatigue, s’effondra.
Ce visage qui se penche sur elle, Jeanne ne le connaît pas. Elle ouvre les yeux, les referme. Et si c’était...
– Jeanne, mon enfant, murmure le duc Philippe, comment te sens-tu ? Tu nous as fait peur. Un moment nous avons craint que tu n’aies rejoint tes saints et tes saintes. Ne crains rien, tu aurais pu tomber plus mal ! Imagine que tu sois restée aux mains des Anglais de Montgomery. Ils auraient eu moins d’égards pour toi...
Elle rouvre les yeux en se demandant qui peut bien être ce personnage en tenue martiale, au visage long et glabre, lisse comme un parchemin, aux lèvres délicatement ourlées, au regard aigu sous les hauts sourcils réguliers. Le comte de Luxembourg l’en informe :
– Tu as devant toi monseigneur le duc Philippe le Bon. Il a tenu à te voir...
– ... et à te faire ses compliments, ajoute Philippe. Aucun de mes capitaines ne se serait défendu aussi vaillamment que toi et avec une telle abnégation : on m’a annoncé que tu t’es battue jusqu’au bout en voulant protéger tes arrières et que, si la porte ne s’était pas fermée devant toi, tu nous aurais échappé !
– J’aurais eu honte de faire autrement, messire. Que sont devenus mon frère Pierre, mon intendant Jean d’Aulon et les autres compagnons qui m’assistaient ?
– Rassure-toi. Si ton frère Pierre et ton intendant sont entre nos mains, Baretta et les autres nous ont échappé.
Le duc Philippe donne des ordres pour qu’on lui serve une soupe au vin, avant d’ajouter :
– Nous allons te laisser en paix, mon enfant. Repose-toi. Dis-toi que, si tu as perdu ta dernière bataille, et avec honneur, il te reste beaucoup d’épreuves d’un autre genre à affronter.
Il se retourne, se dirige vers une jeune femme qu’il prend par la main pour la conduire jusqu’au
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