La couronne de feu
Qu’en dites-vous, Bedford ?
Jean de Lancastre, duc de Bedford et régent de France, répond d’une voix lasse :
– Nous sommes en guerre contre Charles. Jeanne est un de ses capitaines. C’est donc une prise de guerre et nous la revendiquons. Mais notre souverain, Henri, et le cardinal de Winchester, régent pour l’Angleterre, ne sont guère fortunés. Ils seront d’accord pour une rançon, à condition qu’elle soit d’un montant raisonnable.
L’évêque Cauchon tousse gras, expectore dans l’herbe et s’éclaircit la voix.
– Je me permets de vous rappeler, mes amis, ainsi qu’à vous, Bedford, que Jeanne a été prise dans le périmètre de mon diocèse de Beauvais et qu’elle doit nous être remise pour le procès que nous allons devoir lui intenter. Avez-vous assez proclamé, Bedford, que cette garce est une sorcière, une prophèteresse, une devineresse, une abuseresse, qu’elle usait contre vous d’enchantements – c’est votre mot ! Donc c’est à notre Mère l’Église et à la Sainte Inquisition de lui faire un procès en hérésie ! Qu’en dit notre Inquisiteur général ?
Le Grand Maître de l’Inquisition en France, le révérend Jean Graverend, laissait percer son embarras en jouant avec les pompons de sa cuculle. Il hausse les épaules, promène un regard divergent sur l’assistance avant de lâcher à l’intention de Bedford :
– Monsieur le Régent, vous savez que nous sommes acquis à votre cause et que nous ne dérogerons pas à ce choix. Pourtant, notre avis est que ladite Pucelle soit remise à l’Église et que nous ayions à la juger conjointement avec un tribunal ecclésiastique. Messire Philippe a d’ailleurs reçu un message de l’Université de Paris demandant que ladite Pucelle nous soit abandonnée.
Jean de Luxembourg se lève, blême d’indignation, agitant ses bras grêles comme des pattes de crabe et s’écriant :
– Mais alors, ma rançon, qui la paiera ?
L’archer Lionel et le bâtard de Wandronne surgissent de derrière un faux buisson de roses pour scander à l’appui de leur maître :
– La rançon... qui... la paiera ?
Le duc Philippe donne l’ordre aux gardes de chasser ces intrus. Jean de Luxembourg poursuit d’une voix sifflante :
– A-t-on jamais vu cela ? une prisonnière de guerre jugée par un tribunal d’Église. Quel est cet embrouillamini qu’on nous prépare ? Quoi qu’il en soit, j’exige ma rançon !
– Et moi, mes amis, dit Bedford en se levant, je vous affirme que, quoi que vous décidiez, nous finirons pour avoir cette garce.
Il dit à voix basse à Jean de Luxembourg :
– À combien estimez-vous le prix de cette sorcière ?
– Disons... euh... vingt mille écus. Cette somme peut vous sembler exagérée mais la Pucelle n’est pas n’importe qui. Le Grand Turc nous la paierait le double. Songez-y : vendue à son souverain cette fille reprendrait les armes et les cauchemars, monsieur le Régent, reviendraient vous obséder !
– Vous voulez achever la ruine du trésor d’Angleterre ! s’écrie Bedford.
– Je consens à descendre à quinze mille écus.
– Soyez raisonnable, intervient l’évêque. Dix mille écus, qu’en dites-vous, monsieur le comte ?
– Même dix mille écus... se lamente le Régent. Où voulez-vous que nous trouvions une telle somme ?
– Allons... allons... fait Pierre Cauchon d’une voix mielleuse, vous le savez bien : en Normandie. C’est une province pleine de ressources. Quand vous lui aurez imposé quelques tours de vis supplémentaires il en coulera suffisamment de liquide pour satisfaire aux exigences de notre ami le comte Jean.
– Ainsi, dit Philippe en se grattant le menton, ce sont les propres compatriotes de Jeanne qui la rachèteront pour nous en faire cadeau ! Joli tour de passe-passe, monseigneur...
8
Les prisons vertes
Beaulieu, mai 1430
Le duc Philippe passa une journée entière à dicter, à l’intention de ses bonnes villes, des courriers annonçant la capture de la Pucelle. Nouvelle diversement accueillie : tantôt par des acclamations, tantôt par des lamentations ; partout par la surprise. Tous avaient acquis la quasi-certitude qu’une telle créature, qui entendait des voix venues du Ciel, qui avait accompli des prodiges et des miracles, qui était capable par sa seule présence de faire fuir une armée, ne pouvait d’une manière aussi banale tomber entre les mains de ses ennemis.
Tenue captive durant quelques jours à Clairvoix, au
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