La couronne de feu
surgir sur sa droite un fort détachement d’Anglais qui avançaient au pas de charge sous la bannière d’un chevalier normand, Jean de Montgomery. Elle lança l’ordre de faire front à cette attaque imprévue lorsqu’elle constata avec fureur que la plupart de ses hommes et de ceux de Baretta prenaient la fuite, les uns vers la barbacane, les autres vers le pont de bateaux, pressés par un groupe de cavaliers anglais qui massacraient sans pitié les traînards, et notamment les Piémontais encombrés de leurs prises.
Comme Jeanne se montrait surprise que Guillaume de Flavy n’eût pas déclenché un tir de couleuvrines, Baretta lui répondit qu’une telle canonnade aurait fait autant de victimes dans un camp que dans l’autre, la mêlée étant devenue inextricable.
Un cavalier piémontais passa près d’eux en hurlant :
– Pressez-vous de passer le fleuve, sinon vous êtes foutus !
– Ils ne pensent tous qu’à fuir, ces poltrons ! s’écria Jeanne. Nous sommes assez nombreux pour repousser ces maudits Godons. En avant !
Elle se disait qu’en la voyant paraître les Anglais se disperseraient avec des cris d’épouvante. Elle se trompait : on avait dû faire la leçon à ceux qui s’avançaient vers elle au coude à coude, les dents serrées et, semblait-il, la rage au ventre, comme si quelque boisson magique leur avait fait oublier leurs peur superstitieuse.
Elle poussa hardiment vers eux en criant avec sa voix d’homme :
– Sus aux Godons ! Ils sont à nous ! En avant !
Elle protesta quand Jean d’Aulon, ayant mis pied à terre, prit d’autorité le mors de son cheval pour, accompagné de Pierre, l’entraîner vers le pont. On l’entendit crier qu’il fallait protéger les arrières, éviter à ses hommes la capture ou la mort, et autres propos désordonnés et absurdes. Elle arrivait à son corps défendant sur le boulevard après avoir franchi le pont sans encombre quand elle entendit Pierre crier :
– Nous sommes perdus ! Nous ne pouvons plus rentrer !
Elle jeta un regard en direction du châtelet : on avait baissé la herse et le pont se relevait lentement. Elle se demanda de qui venait cet ordre qui la condamnait : de Flavy ? de Regnault ?
Toujours suivie d’un groupe de cavaliers mêlés à des Piémontais qui opposaient une farouche résistance à une compagnie de Picards de Jean de Luxembourg mêlés aux Anglais, elle parvint à s’adosser à la muraille, dans l’angle formé par la coutine et une tour d’angle, quand un archer bourguignon qui venait, suivi de quelques compagnons, de franchir la dernière ligne de défense avant le boulevard, s’accrocha à elle et, tirant sur sa huque, l’arracha à sa selle. Elle se débattit avec des grondements de fauve prisonnier et ne se tint immobile et silencieuse que lorsqu’il lui eut mis le poignard sur la gorge en lui criant de se rendre, qu’il ne lui serait fait aucun mal, ajoutant qu’il était au service du bâtard de Wandronne et se nommait Lionel. Tout fiérot de son exploit, cet adolescent ajouta d’une voix radoucie :
– Jeanne, donne-moi ta foi, je te prie. Promets que tu ne chercheras pas à m’échapper.
– Le serment que tu attends de moi, dit-elle, tu ne l’auras pas. J’ai donné ma foi à d’autres, plus puissants que toi et qui me protègent.
– Il faudra bien t’y résoudre pourtant car ce sont les lois de la guerre. Je vais te conduire à mon maître, le sire de Wandronne, homme de noble lignée. Tu pourras sans déchoir lui donner ta foi.
Ayant enlevé à la Pucelle son épée et son poignard il l’aida à se relever. Elle constata, le coeur serré, que Jean d’Aulon, Pierre et quelques autres de ses compagnons avaient subi le même sort. Aidé de quelques archers de sa compagnie, Lionel la conduisit au bâtard de Wandronne. Cette brute mal rasée, au visage marqué par un coup de hache ou d’épée qui lui avait arraché la joue droite, laissa s’épanouir un sourire sur son visage hideux en la voyant paraître et marquer un recul.
– Approche ! dit-il. Je ne vais pas te bouffer toute crue. Je devrais même te remercier, malgré tout le mal que tu nous as donné, petite garce ! C’est le plus beau présent que j’aie reçu de toute ma vie, et j’en remercie Dieu ou le diable. Quant à toi, Lionel, tu vas prendre du galon, mon gars !
– Que comptez-vous faire de moi ? demanda Jeanne.
– À ton idée ? Te découper en petits morceaux et te faire frire à la broche ? Ah ! ah
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