La couronne de feu
1430
Comme à son ordinaire, Jeanne se fit revêtir de son harnois par Louis de Coutes ; il noua sur les côtés la huque ornée de lys d’or, lui coiffa son heaume et assura l’épée à la ceinture.
– Vous paraissez soucieuse, lui dit Jean d’Aulon en lui portant sa soupe au vin. Auriez-vous reçu quelque avis qui vous déconseille cette décision d’effectuer une sortie ?
– Ces avis, dit-elle, j’en ai plein la tête mais ils ne me feront pas renoncer.
Elle fit appeler son frère Pierre, lui demanda de l’accompagner en lui faisant observer que ce ne serait pas une partie de plaisir. Il promit de la suivre et de ne pas la quitter d’un pouce.
Il était cinq heures de relevée lorsque la troupe de deux cents Piémontais conduits par Baretta franchit les défenses qui formaient barrage sur l’Oise. L’air était encore chaud, traversé de lourdes bouffées de printemps montant des prairies gorgées d’eau.
Pour assurer la retraite éventuelle de la troupe, Guillaume de Flavy avait pris la précaution de faire ranger devant la barbacane qui commandait l’entrée du pont un fort contingent d’archers, d’arbalétriers et d’artilliers, avec un pont de bateau destiné à faciliter le retour dans la place.
À peine avait-elle franchi, bannière au vent, la porte de la dernière barbacane, Jeanne éclata de rire : les soldats postés le long du fleuve se débandaient en criant :
– La sorcière ! Elle arrive !
– Sauve qui peut !
Les uns fuyaient vers Venette, d’autres en direction de Clairvoix, dans une cavalcade de chevaux emballés.
– L’affaire s’annonce à merveille ! dit Jean d’Aulon. La terreur que vous inspirez à ces soldats est votre meilleure alliée.
La voie étant libre il ne fallut pas une demi-heure à la troupe de Jeanne et à celle de Baretta pour se trouver devant le chantier de la bastille de Marny. Les travaux venaient juste de débuter : les Bourguignons de Baudot de Noyelles n’avaient eu que le temps de creuser les fossés et d’attaquer les fondations. Pas un soldat ennemi en vue, les équipes de terrassiers et les sentinelles ayant pris la sage précaution de se replier sur leur cantonnement, dans quelques chaumières du village.
– Allons les déloger ! s’écria Jeanne. Ahay !
Elle fut déçue de ne trouver devant elle qu’une poignée de pauvres diables armés de pelles et de pioches que la Pucelle épargna. Le gros des défenseurs s’était replié à quelque distance, en direction de Coudun. Une reconnaissance vint lui annoncer que Jean de Luxembourg, parti de cette localité, faisait route vers Margny, peut-être dans l’intention de procéder à une inspection des travaux. Elle sursauta : Jean de Luxembourg était une proie à sa convenance : le meilleur capitaine de Philippe ! Elle se dit que, si l’on parvenait à le capturer, les gens de Compiègne pourraient dormir sur leurs deux oreilles : ce n’est pas Philippe qui viendrait les réveiller.
Lorsqu’elle se retourna pour donner le signal d’avancer elle constata que la troupe de Baretta s’était singulièrement éclaircie.
– Que font tes hommes ? dit-elle. Où sont-ils passés ?
– Ce qu’ils font d’habitude, répondit le Piémontais : leur petite récolte personnelle. Ce que vous appelez en France la picorée.
– Tu vas les rassembler tout de suite, sinon j’irai les chercher moi-même ! Ils ont mieux à faire.
Le temps pour Baretta d’arracher ses Piémontais à leur plaisir favori en leur bottant les fesses, les gens de Baudot avaient repris confiance et, sortant en rangs serrés d’une bicoque, tentèrent de réoccuper la position que Jeanne leur avait arrachée. En voyant surgir la Pucelle à la tête de ses cavaliers ils rebroussèrent chemin pour se disperser dans le bois voisin.
Selon Jean d’Aulon on en avait assez fait pour la journée, d’autant que la nuit n’allait pas tarder à tomber.
– Il faut nous replier, dit-il. Je crains que les soldats qui occupent Venette et Clairvoix ne se ressaisissent et passent à la riposte avec l’intention de nous prendre de flanc et de nous couper le chemin du retour. Nous risquons, si nous nous obstinons, de tomber dans un piège.
Jeanne dut convenir que son intendant avait raison. Elle envoya Pierre et Baretta rameuter les Piémontais qui, chargés de butin, redescendaient la pente raide menant au pont. Il était temps de rétrograder.
Alors que Jeanne arrivait aux abords des prairies de l’Oise, elle vit
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