La couronne de feu
grabat de Jeanne.
– Je te présente ma jeune épouse, dit-il. Isabelle souhaitait te saluer. Elle t’admire et ne jure que par toi. Si je l’écoutais elle ferait de toi l’une de ses demoiselles d’honneur !
Il éclate d’un rire grinçant comme un trait de diamant sur du verre, en se trémoussant. Isabelle s’agenouille au chevet de la Pucelle, lui prend la main, la porte à ses lèvres.
– Jeanne, dit-elle, j’ai appris que dans toutes les églises d’Espagne et du Portugal tu passes pour une sainte, et je sais qu’on fera dire des messes pour ta sauvegarde. Je prierai moi-même pour toi, chaque soir, et je veillerai à ce qu’il ne te soit fait aucun mal...
– Cela suffit ! bougonne Philippe. J’y veillerai moi-même !
Scène de théâtre
Cette forêt n’est pas une vraie forêt : on n’y entend pas un chant d’oiseaux, pas un murmure de vent. Ce château n’est pas un véritable château mais un décor de mystère sans couleurs et sans relief. L’horizon ne se trahit que par un trait de pastel bleuâtre. Les personnages assis autour de la table ronde ne sont pas des êtres de chair et de sang mais des fantoches d’où sortent des paroles confuses. Tout est faux. Tout est vrai.
On a vu s’avancer, l’air timide, son bonnet à la main, le petit archer Lionel. Il a lâché quelques mots d’une voix hésitante :
– C’est à moi, messeigneurs, que vous devez la capture de la Pucelle. J’ai donc droit à une bonne récompense.
Le duc Philippe hausse les épaules, fouille dans sa bourse, jette quelques pièces aux pieds de l’importun qui s’accroupit, les picore avec avidité et constate que le compte est maigre.
– Le reliquat sera pour plus tard, lui lance le duc. Ta conduite n’avait rien d’héroïque ! N’importe lequel de mes piétons en aurait fait autant. File, garnement, avant que je te botte les fesses !
Le bâtard de Wandronne surgit à son tour de derrière un arbre en carton, l’air de ne pas vouloir s’en laisser conter.
– L’archer Lionel, dit-il, était l’un de mes hommes. Il n’a fait que son devoir en me remettant la Pucelle. Elle est donc mon bien, mais j’accepte de vous la céder. À combien l’estimez-vous ?
Philippe fait mine de calculer mentalement :
– Une rente de trois cents écus par an, cela te conviendra-t-il ?
– Ce n’est pas cher payé pour une telle prise, maugrée le bâtard, mais s’il faut que je m’en contente, je m’en contenterai...
Jean de Luxembourg se dresse lentement et lance de sa voix nasillarde et sifflante :
– Les lois de la guerre font de la Pucelle ma captive. Je vous rappelle, messires, que ce sont mes hommes qui l’ont prise. Elle me revient donc d’office et personne ne pourra prétendre me la racheter pour une poignée d’écus ou une rente dérisoire ! Je compte en tirer une rançon suffisante pour honorer mes dettes et faire restaurer mes vieilles bicoques.
Philippe se dit qu’il serait indigne de traiter comme un soudard cette relique démantibulée mais vivante de ses propres guerres, cet héritier d’une famille qui a compté des rois, des reines, des empereurs, d’autant que les lois de la guerre dont il se prévaut lui donnent tous les droits sur sa prisonnière.
– Si je vous comprends bien, ajoute Philippe, vous comptez mettre cette garce aux enchères ?
– C’est mon droit, messire, et je le défendrai !
L’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, profite du silence gêné qui succède à ces échanges de propos mouchetés pour demander d’une voix ferme :
– À qui allez-vous proposer votre prisonnière ? La logique voudrait que ce fût à son suzerain, Charles, qui se dit roi de France.
Jean de Luxembourg regarde fixement, de son oeil unique, ce gros prélat aux manières onctueuses et fermes à la fois, avant de répondre avec un soupçon de gêne :
– En effet... bien entendu... Charles sera sollicité...
Philippe ne peut retenir le rire aigrelet qui lui monte aux lèvres.
– Charles... soupire-t-il d’un air faussement apitoyé. Ce pauvre Charles... Si j’en crois mon ami le Gros Georges, il n’a pas un sou vaillant. D’ailleurs, son souhait était de se débarrasser de cette fille qui était devenue encombrante et compromettante. Alors ne comptez pas qu’il vous la rachète. Il paierait plutôt, s’il en avait les moyens, pour que vous la gardiez ! Pensez plutôt à nos alliés anglais. Ils seraient fort intéressés, eux, à en faire l’acquisition.
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