La couronne de feu
compagnons venu la délivrer.
C’était Jean de Luxembourg. Il avançait sous la protection de deux lances seulement car il chevauchait sur ses domaines. À peine avait-il mis pied à terre qu’il demanda à voir la Pucelle. Son épouse l’avait en hâte fait enfermer dans la salle basse du donjon, avec deux gardes devant la grille, afin de montrer au comte que ses consignes étaient respectées.
Tandis que son écuyer lui ôtait ses houseaux et son harnois humide de pluie, il fit venir Jeanne et lui dit :
– Eh bien, ma fille, il semble que le régime de la prison te réussisse ! Tu as une mine superbe et tu sembles avoir pris du poids. L’auberge est bonne. Pourtant je regrette de te dire que tu vas devoir en changer.
Il lui annonça une nouvelle qui à Jeanne fit l’effet d’un trait de foudre : sa tante était morte en Provence. Morte de quoi ? Est-ce qu’il pouvait savoir ? De fatigue, peut-être, d’un mal de poitrine, de son grand âge... Le cercueil, arrimé à un chaland, remontait le Rhône.
– Il arrivera à Beaurevoir dans une quinzaine de jours environ, mais tu ne seras pas là pour faire tes adieux à ta vieille amie, cette folle qui t’aimait tant.
– Je vous interdis de parler d’elle en mauvais termes !
Il haussa les épaules. Que pouvait-elle bien lui interdire ?
– Je connais l’affection qu’elle avait pour toi alors que celle qu’elle me témoignait était à éclipse : tantôt j’étais le vaillant guerrier au coeur généreux, tantôt le grippe-sou qui n’en voulait qu’à son héritage. Je persiste à croire qu’elle avait un grain de folie. Entreprendre un tel voyage, à son âge... Et tu sais sa dernière lubie ? te rendre à ton roi ! Je n’ai pu lui faire comprendre que Charles se moque bien de ton sort. Il n’a même pas daigné s’informer de la somme que j’exigeais pour la rançon ! C’est dire...
– La mort de votre tante arrange bien vos affaires, mais vous êtes tenu à d’honorer votre serment de ne pas me livrer aux Anglais.
Il torcha d’un revers de poignet son orifice nasal d’où suintait un mucus grisâtre.
– Ce serment, dit-il, je le tiendrai. Ce n’est pas aux Anglais que je vais te livrer, bien qu’ils aient payé ta rançon. Alors à qui ? À l’Université, à l’Église, au duc Philippe ou au pape ? Je ne sais encore, mais garde-toi de nourrir des illusions : les Anglais ont promis de t’avoir, et ils sont têtus ! Quoi qu’il en soit, nous allons devoir nous séparer.
Elle lui demanda des nouvelles du siège de Compiègne. Il s’écria avec une fureur mal contenue, balayant la morve qui lui coulait dans la barbe :
– Au diable cette sacrée nom de Dieu de ville ! Je ne sais par où et comment la prendre. Ce siège me fait perdre de l’argent et des hommes, chaque jour, en quantité ! Ces deux salauds, Falvy et Regnault, ont chié dans mes chausses et je le leur ferai payer. Je croyais pouvoir compter sur leur parole et ils me ferment leur porte !
– Leur parole, dit Jeanne, ils n’en ont qu’une : celle qu’ils ont donnée à leur roi.
Le comte Jean ne resta à Beaurevoir que le temps d’organiser les funérailles de sa tante, de régler quelques affaires de famille et de donner à ses débiteurs et usuriers des apaisements quant à ses dettes. Il ne pouvait rester longtemps loin de Compiègne où le siège traînait en longueur.
À peine avait-il tourné les talons qu’un cortège de bourgeois de Tournai, retour d’une visite au roi Charles qui séjournait sur les bords de la Loire, demanda l’asile au château. De même que le Pays de Bar dont Jeanne était native, cette cité avait réussi, en dépit des pressions et des menaces, à préserver son indépendance et sa fidélité au roi Charles.
La dame de Beaurevoir ne pouvait déroger aux lois de l’hospitalité en refusant de les héberger. Elle abrita donc le doyen Carlier et le conseiller Romain dans ses appartements, le reste de leur escorte dans les communs et aux écuries.
Faisant mine d’apprendre que Jeanne était prisonnière de ces lieux, ils demandèrent à la voir et à lui parler. Délégués par les autorités du Tournaisis aux cérémonies du sacre, ils avaient gardé l’image d’une sainte de vitrail assistant le souverain. Ce qu’ils lui dirent du roi ne la surprit guère : la capture de la Pucelle l’avait chagriné – du moins le disait-il ; il souhaitait pouvoir la délivrer mais n’en avait pas les moyens. En revanche
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