La couronne de feu
Il lui lança :
– Je reviendrai, Jeanne. Avec votre permission.
Cette permission, elle ne la lui accorda pas parce qu’il n’en fit pas la demande. Il revint à plusieurs reprises et même ne tarda pas à montrer une certaine assiduité. Dans cette forteresse qui aurait pu être le Château des Quatre-Jeanne, comme il disait, il apportait une présence dont Jeanne ne tarda pas à convenir qu’elle n’était pas dépourvue d’agrément, contrairement à Jean d’Aulon qui se méfiait de ce beau parleur.
Il arrivait en général en début d’après-midi, après la sieste que Jeanne observait rigoureusement. Il s’efforçait de rendre sa présence légère ; au moindre signe de lassitude ou d’ennui de la part de Jeanne il prenait congé.
La demoiselle, discrètement, mit Jeanne en garde contre son visiteur.
– Méfie-toi, mon enfant ! Ce damoiseau passe pour un bourreau des coeurs. On dit que certaines de ses maîtresses ont sombré dans le chagrin à la suite de l’inconstance de ses sentiments. S’il te fait des avances, n’hésite pas à le rabrouer. Il n’en prendra pas ombrage car, au fond, c’est une bonne nature.
Une nature, au demeurant, entreprenante ! Un jour qu’ils jouaient innocemment à se poursuivre dans le jardin, il parvint à la rattraper par le fond de son pourpoint et à la faire rouler dans l’herbe. En la maîtrisant d’une main il tenta avec l’autre de lui dénuder la poitrine en lui soufflant au visage :
– Jeanne, ma chérie... J’ai tant envie de toi...
Elle parvint à le repousser en criant :
– Bas les pattes, maraud ! Vous n’aurez rien de moi, pas même un baiser ! Je ne veux plus vous voir. Partez !
Il se releva penaud, tête basse, se retira et ne revint plus. Jeanne le regretta quelque temps puis l’effaça de sa mémoire.
Jeanne avait été transférée fin juillet à Beaurevoir. L’automne venu, la demoiselle de Béthune lui dit :
– Ma fille, je dois te quitter. Comme chaque année à la même date, je dois me rendre en Avignon pour un pèlerinage sur la tombe de mon frère chéri. Je resterai absente un mois environ car c’est un long voyage. Il y a quelques années, comme je ne pouvais plus me risquer à cheval, j’ai fait fabriquer le char à quatre roues que vous avez pu voir dans l’écurie. Il n’est pas très confortable mais le train de mon escorte est lent et mes vieux os ne souffrent pas trop de cette équipée.
Elle ajouta en prenant les mains de Jeanne :
– Tu n’as rien à craindre durant mon absence. Je te rappelle que, moi vivante, les Anglais ne t’auront pas. Je suis persuadée que le roi Charles paiera ta rançon et que tu seras bientôt libérée.
Jeanne la regarda s’éloigner sous une lourde pluie d’octobre en direction des sources de l’Escaut avant de prendre la route de Saint-Quentin.
Sans la présence à la fois constante et légère de la vieille demoiselle, la vie à Beaurevoir devint vite insipide. Le caractère de Jeanne s’aigrit au point qu’elle en venait à regretter les facéties d’Aimond de Macy, les jeux qu’il inventait et auxquels ils se livraient sous les regards suspicieux de Jean d’Aulon. Une existence sédentaire, l’absence d’exercice, la bonne chère menaçaient de lui donner rapidement une tournure de matrone.
Une angoisse l’obsédait : celle d’être vendue aux Anglais par son geôlier, malgré le contrat tacite passé avec la tante à héritage. Chaque matin elle se disait que la journée ne finirait pas sans que l’événement redouté ne se produisît. Durant la nuit elle interrogeait ses voix et n’en obtenait que des réponses peu rassurantes ou pas de réponse du tout.
L’idée d’être livrée aux Godons et de n’avoir plus pour longtemps à vivre la harcelait. Elle ne pouvait oublier l’avertissement qu’elle avait reçu de ses voix à plusieurs reprises, précisant qu’elle ne durerait guère : un an ou deux tout au plus. Ce n’était point tant l’idée de sa mort qui l’angoissait que la crainte d’une longue captivité dans une geôle d’Angleterre, entre les mains de ces barbares qui l’eussent brutalisée, violée peut-être...
Ses craintes se révélèrent fondées quelques semaines après le départ de Mademoiselle de Béthune, lorsque la corne du guetteur sonna l’alarme dans la forteresse : une troupe était signalée, venant du Catelet, à moins d’une lieue de Beaurevoir. Jeanne se dit que ce pouvait être l’un de ses
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