La couronne de feu
Compiègne. Les Anglo-Bourguignons avaient enlevé au début de l’opération quelques ouvrages défensifs, de part et d’autre du fleuve, mais leurs assauts contre les remparts échouaient piteusement devant une résistance opiniâtre contre laquelle leurs fameuses bombardes ne pouvaient rien ou peu de chose. Jean de Luxembourg et l’Anglais Montgomery voyaient venir l’hiver avec un sentiment d’amertume et d’angoisse : les vivres manquaient alors que les bourgeois de la ville parvenaient à se procurer les subsistances nécessaires à la population et à la garnison.
Un matin, dans le camp de Luxembourg, un guetteur sonna l’alerte : une troupe était en vue, sortant de la grande forêt bordant la ville vers le levant. Comble de malchance pour le duc Jean, c’étaient des Français : une troupe conduite par le vieux maréchal de Boussac. Les Anglo-Bourguignons firent front mais avec des forces décimées à tel point par les assauts infructueux, les désertions et la famine qu’ils durent abandonner la place, laissant la troupe ennemie entrer triomphalement dans la ville.
Peu de temps après, Charles confiait au bâtard d’Orléans, Dunois, une mission hardie : s’emparer de Louviers. Elle se trouvait au sud de Rouen. Cette ville n’aspirait qu’à se rendre.
Le roi avait reçu de Jean de Luxembourg une demande de rançon tellement exorbitante qu’il avait pensé que l’on se moquait de lui ou que l’on faisait en sorte qu’il ne pût jamais l’honorer : les Anglais ne laisseraient à aucun prix la Pucelle leur échapper.
Beaurevoir, mai 1430
La dame de Beaurevoir déposa l’écuelle de soupe et la cruche de vin au chevet de Jeanne, lui posa la main sur le front et constata que la fièvre était tombée.
– Vous devez faire un effort pour manger, dit-elle. Cela fait trois jours que vous jeûnez ! Avez-vous décidé, après avoir manqué votre suicide, de vous laisser mourir de faim ?
– Je n’ai pas tenté de me suicider , répondit Jeanne, mais de m’évader . J’en avais le droit.
– À d’autres, ma petite ! Vous avez eu beaucoup de chance. Sans ces buissons qui ont amorti votre chute vous vous seriez rompu les os et seriez morte à l’heure qu’il est. Allons, essayez au moins de boire un peu de cette soupe !
Elle lui souleva la tête. Jeanne avala quelques gorgées, fit la grimace. Au moindre mouvement des douleurs se réveillaient en elle et la torturaient. Aucun de ses membres n’était brisé, mais elle avait des contusions par tout le corps.
– À la bonne heure ! s’exclama la dame, vous voilà devenue raisonnable. Ce soir je vous porterai du blanc de poulet. D’ici une semaine vous pourrez vous déplacer normalement.
Jeanne demanda où se trouvait Jean d’Aulon.
– Vous ne le verrez pas, du moins pour le moment. Le capitaine l’a jugé coupable de complicité et l’a mis aux arrêts. Une fois guérie vous irez le rejoindre. N’en soyez pas surprise : le capitaine a reçu des consignes strictes de mon époux : à la moindre incartade, tentative de suicide ou d’évasion, c’est le cachot !
Jeanne demanda à se confesser. On fit venir le prêtre du Catelet avec lequel, depuis son arrivée à Beaurevoir, elle avait eu des rapports distants mais courtois : il l’écoutait en confession, lui donnait la communion mais refusait de se charger d’acheminer les messages qu’elle voulait lui confier à destination de Compiègne.
Ce religieux grave et sévère tenait à son idée : Jeanne avait commis un péché mortel en tentant de mettre fin à ses jours. Il ne lui donna l’absolution que du bout des lèvres, à contrecoeur, et lui refusa l’hostie : il ne tenait pas à se déclarer complice d’un acte aussi grave.
En sortant de sa cellule Jeanne passa quelques jours à se servir de ses potences pour marcher, sous la surveillance d’un gros archer picard qui avait reçu consigne de ne pas la quitter d’un pouce. Elle lui jetait :
– Cesse de me surveiller comme si j’allais m’envoler ! Bientôt tu recevras les buffes et les torchons que tu mérites !
– Chante, bel oiseau ! ripostait-il. Quand tu seras au fond du trou tu chanteras moins !
Le trou , c’était le souterrain qui s’ouvrait au milieu de la cour, près du potager. On y descendait par des marches de bois moisies et glissantes de glaise humide. C’était un de ces souterrains-refuges qui, disait-on, servaient d’abris ou d’issues vers l’extérieur en période
Weitere Kostenlose Bücher